Surveillance, assurance par Yael Weiss

Les Apparitions

Surveillance, assurance par Yael Weiss

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On m'explique avec fierté le fonctionnement du système de surveillance d'un jardin d'enfants. Il ne s'agit pas d'un jardin, mais d'une salle de jeu fermée. Je peux les voir s'ébattre à travers une énorme vitre. On me dévoile que les enfants, au contraire, ne se doutent pas de notre présence, nous, à deux mètres de distance : la vitre est polarisée. Les enfants ne voient qu'un miroir auquel ils ne prêtent pas grande attention. On peut ainsi les surveiller sans qu'ils le sachent. On n'entrave pas le sentiment d'indépendance et de liberté des enfants, ils sont manifestement plus naturels lorsqu'ils ne se sentent pas observés. Au premier dérapage, un adulte peut intervenir par la porte adjacente. Le deuxième avantage est que l'on peut ainsi repérer certains enfants et prendre des mesures pédagogiques. Il y a deux psychologues en stage qui font une étude. On me les présente. Je ne sais comment j'ai pu leur serrer la main tellement ils me dégoûtent.
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La vidéosurveillance. à la bibliothèque. à l'aéroport. au supermarché. à l'intérieur du réseau RATP, dans les grands magasins, dans les restaurants, dans la rue, surtout dans la rue.
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Je me dis parfois que je peux être observée lorsque je mange gaiement dans les supermarchés, avant de passer à la caisse. Ou quand je vole une paire de cerises ou un pruneau. Je ne peux résister à ce vol devant leurs caméras, je me dis qu'ils auraient honte de se déranger pour si peu. Que je rirais trop fort.
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Nous marchons au milieu de la rue Oberkampf, l'agitation d'un samedi, le soir, les trottoirs débordent, un scooter klaxonne très fort : Nous sautons immédiatement sur le côté comme des moutons effrayés.
Lorsque le véhicule nous dépasse, le passager assis à l'arrière me traite de skateuse de merde, car je porte un skate sous le bras.
Je mets mon doigt dans la bouche et le suce en le regardant.
Il fait arrêter le scooter, et dès que nous parvenons à son niveau, il me crache horrible crachat sur mon manteau. Je crache en retour une pluie de salive, je n'ai pas de crachat, il descend alors du scooter en marche (c'est l'autre qui tient le volant) et me donne un coup de poing, et un coup de pied; je le menace de mon skate je dis que je vais casser le scooter il presse son ami de foutre le camp je reste là skate brandi comme un bâton hésitant sur le coup à donner rôle menaçant en tous cas.
Ils repartent. Le temps reprend, le bruit de la rue, je comprends soudain qu'on m'applaudit. Les passants m'applaudissent, du trottoir, en face, une voix masculine me félicite d'avoir su me défendre.
Je n'étais donc pas seule.
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Nous sommes sauvagement libres. Nos sourires sont trop joyeux. Ils ne veulent pas être nos frères, ne peuvent pas. Il faut ouvrir son sac sans lever les yeux dès que c'est commandé, il faut se diriger vers le vestiaire sur le suivant commandement. Le très sec bonsoir-s'il vous plaît qui ne veut pas dire bonsoir-s'il vous plaît. Je lève les yeux et je les regarde.Une femme peut être vidée aussi brusquement qu'un homme. Cela m'arrive souvent mais je ne passe pas au vestiaire quand ce n'est pas nécessaire : et jamais ils ne me l'ont proposé gentiment.
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Le maître nageur m'interdit de plonger dans le petit bassin je sais très bien plonger en eaux basses je le lui dis je veux prendre le risque, nul, m'exercer à plonger en eau basse, jouir de savoir plonger en eau basse, je prends le risque sur moi ! Impossible. C'est eux les responsables, c'est interdit, c'est l'aire de la piscine, c'est le maître nageur qui a le pouvoir.Comme je tiens à revenir nager dans ce cube d'eau chlorée à défaut de mer, je n'ai pas le choix.
Le commentaire de sitaudis.fr Extrait de Cahier de violences (à paraître).