Daddydada par Patrick Beurard-Valdoye

Les Incitations

24 sept.
2005

Daddydada par Patrick Beurard-Valdoye

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Le Centre Georges Pompidou a beaucoup d'influence en matière de littérature. On a pu apprécier les vitrines littéraires de l'accrochage touristique ìBig-Bang", où l'on voit, pour l'essentiel, un vrac de ce que tout étudiant correct doit avoir lu, chez Gallimard de préférence, et presque jamais en vers bien sûr. On y a même vu Apollinaire encadré par Céline et Jünger (ne manquait que Maurras, mais à Beaubourg on ignore tout des textes d'extrême droite de Jünger non traduits). Les programmations du Centre Georges Pompidou influent aussi sur la politique éditoriale (je ne parle pas du programme apoétique tendance grande surface des Revues parlées). On voit donc depuis quelques semaines fleurir des ouvrages et dossiers en revue sur Dada. Leurs artisans ont raison : passée l'exposition de Beaubourg, personne ne s'intéressera plus en France à Dada pendant dix ans.
C'est la raison pour laquelle chaque dossier devrait être investi d'une certaine responsabilité intellectuelle, en dynamitant les poncifs, en montrant l'actualité de pratiques, déjà multimedia, transversales et cosmopolites. Le dossier précédé de l'introduction de Lionel Richard que nous offre ìAction Poétique", de ce point de vue, ne peut échapper à la critique, en dépit d'une louable intention au niveau du premier point.
Nous rappeler que DADA allemand importe, c'est convenu et connu depuis Michel Sanouillet au moins : cela ne date pas d'hier. Montrer que Dada n'est pas tombé du ciel par l'opération du saint-esprit comme Tzara et d'autres l'ont prétendu, n'est pas inutile en effet, sans être nouveau. Il aurait en ce cas fallu montrer le rôle de la communauté Monte Verità (Ascona) que fréquentent les artistes dès 1914, où séjournent la plupart des dadaïstes. A cet égard Sophie Taeuber - qui n'est même pas mentionnée de tout le dossier (en général on se contente dans une France un peu rance, de signaler qu'elle était la femme de Hans Arp) - en tant que plasticienne (sa ìTête-Dada" notamment est une merveille), danseuse (aux côtés de Rudolf Laban et Mary Wigman) et ìpasseuse" joue un rôle éloquent. De justesse son nom circule dans l'article d'Isabelle Garron,. Du coup le ìManifeste à la féminité" de Miquel Poal Aregall devient soulageant (comme l'hommage ìPour Arp" d'ailleurs).
Nous expliquer que Ball et Huelsenbeck sont à l'origine de tout, pourquoi pas. ìDada, dont on sait que chaque membre était le président...", écrit cependant Tzara. Le mythe des origines n'éclaire pas grand chose en art. Il reste que Ball a très vite pris ìla fuite hors du temps" et que l'œuvre de Huelsenbeck n'est pas incontournable.
Nous dire encore qu'ìen gommant la participation allemande à Dada, Tzara a [...] faussé en France la réalité des événements de Zurich" participe du canular. On nous prend pour des dadais. Tzara n'avait rien d'un ange certes ! Mais Breton : il n'y serait pas un peu pour quelque chose ? Et la doxa issue d'Apollinaire, selon laquelle rien ne pouvait être que national ? Y a-t-il en 1919-20 plus de cinq poètes français prêts à dire qu'il se passe quelque chose dans les pays ennemis ? (Pas seulement poètes, évidemment : Le Corbusier, après avoir viré le ìdadaïste cartésien" [sic] Dermée de ìl'Esprit Nouveau", tient les indispensables propos germanophobes de circonstance, comme pour mieux dissimuler que ses idées proviennent surtout de son séjour berlinois de 1910).
Quant aux historiens d'art français, qui n'ont jamais travaillé sérieusement avant Sanouillet, reprenant comme argent comptant les propos de Tzara (et surtout ceux de Breton) ? Qu'en dire ? Pauvre Tzara !
Mais tout cela c'était hier et n'est pas si grave. Ce qui l'est plus, c'est l'enfermement historique et la sectorisation scolaire dans lesquels est confiné Dada. Tout s'arrêterait en 22 pour Lionel Richard. Une fois qu'on a la vraie origine il suffit de trouver la fin. C'est oublier l'influence déterminante des acteurs qui ont construit une œuvre importante depuis Dada. Par exemple - si l'on veut demeurer en Allemagne - au sein, ou au seuil, du Bauhaus jusqu'au départ de Gropius. C'est encore ignorer ìl'alliance" des Constructivistes et des Dadaïstes. Là, une autre histoire débute, et pas strictement littéraire - car pour Dada l'art était élargi et pluriel - Une histoire traversée par cette figure majeure, qui n'est ni sur la couverture ni dans le sommaire (néanmoins une page, anodine, lui est accordée à l'intérieur du dossier) : Kurt Schwitters. Je vois déjà Richard, fer de lance huelsenbeckien, rappeler que Schwitters n'était pas Dada. Il n'était pas à Zurich, donc ne participe pas du mythe des origines. ìSchwitters a toujours été ìnaturellement" dada" écrit le vilain Tzara en 1952. Schwitters, dans une lettre de la fin de sa vie à son fils, signe encore Daddydada, bien que s'étant éloigné formellement de Dada. Si Huelsenbeck barre l'entrée de Schwitters dans Dada Berlin, principalement parce que ce dernier refusa, contrairement aux autres, de rompre avec le pionnier Walden, de ìSturm", il fit la louange des Merz-tableaux en visiteur ému de l'exposition Schwitters à New York en 1948. Rien n'est donc si limpide.
Voilà pour toutes ces raisons et d'autres encore, une occasion ratée de franchir le XXIième siècle. Encore dix ans pour sortir de Dadapapy ?