La performance poétique n'existe pas. par Julien d'Abrigeon

Les Incitations

11 juin
2004

La performance poétique n'existe pas. par Julien d'Abrigeon

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Alors que l'on étiquette « performance », non seulement ce qui est performatif mais également ce qui est performant & compétitif, le statut du poète là-dedans serait à renégocier avec les autorités (in)compétentes. Pourquoi « performe(u)r » pour un poète alors qu'il est poète et non à la recherche de la performance ?Art-Action disent certains. Oui. D'accord. Un panier (de crabes) pour tous, puis on pioche la différence en disant que c'est différent mais la même chose. (ce n'est pas clair et c'est normal)
Je ne vois pas pourquoi un poète devrait «obéir» (déjà, là... ) à des règles régissant un art issu d'une autre tradition, aussi proche soit-elle. Pour faire vite, un poète n'est pas un performe(u)r.
Nous n'avons pas besoin de ce terme (& pas tellement plus de l'épithète action), le principe même de la LECTURE impliquant cela & plus.
Lire. Lire ce peut être un exercice mental, d'un lecteur de livre. Passage direct de l'écrit à l'esprit.
Mais Lire c'est aussi oraliser un écrit. La LECTURE du poète par le poète implique donc sa voix, son corps et son souffle.
La LECTURE publique est la mise en place d'une situation de communication très différente de celle de la performance, qui, elle, -& de là vient d'ailleurs sa méfiance du spectacle- est à voir, qui fait du public des spectateurs.
La LECTURE publique de Poésie (par LE poète s'entend, n'évoquons pas là les simulacres par des acteurs) est bien l'ECRITURE, non seulement du texte, mais également de sa LECTURE. Le poète-lecteur doit (sinon il n'est que poète-écrivain, ou que lecteur) écrire la situation d'énonciation. Ecrire la LECTURE. Soit :
ECRITURE (=inscription+ prise en considération) du message (le texte entendu ou vu)
+ ECRITURE du code commun (le sien propre & pourtant intelligible par le public)
+ ECRITURE du canal (la voix nue, le micro, la bande, l'écran, l'image créée, le corps... )
+ ECRITURE du Destinataire/récepteur (prise en compte de sa réception/réaction/participation/action/ jeu sur l'horizon d'attente, sur sa position dans l'espace, sur la possibilité de lui proposer une compréhension totale ou partielle... )
+ ECRITURE de l'émetteur (placement de la voix, du corps, de la posture et de la gesture... )
+ ECRITURE du BRUIT (dans le canal, le message, l'émission, la réception, le code, la situation)
= ECRITURE de la LECTURE

Le poète oralisant en public un texte, s'il n'a pas écrit cette LECTURE, ne fait que desservir son texte, qu'il aurait mieux fait de laisser assis dans le livre.Enfoncer une porte ouverte (qui a un ressort qui la ferme sans cesse) et dire que cette poésie, la nôtre, que certains épithètent en « sonore » ou « action » n'est que la poésie sortie du livre et mise debout. Il n'y a là aucune performance que de la LECTURE.

Il nous faudrait parler du spectacle, de la méfiance et de l'insulte. Le spectacle, situation(niste) oblige, est exclu de la perf, car elle en est le pendant, comme la théâtralité est celui de la LECTURE poétique. La poésie reste différente de la perf par l'ECRITURE, la langue contre la plastique. Ce qui change ? La place du public qui ne doit pas être seulement « spectateur » mais également « lecteur » et « auditeur ». La loi & l'esprit des lois. L'effet piqué au spectacle et son utilisation contre le divertissement. Le fait qu'il faut être sacrément con pour penser qu'amuser un public est forcément l'avilir et le distraire. L'attaque de l'Entertainment ne passe pas forcément par l'emmerdement.

Toute tentative de LECTURE excluant le public de la situation de communication n'est plus poétique et passe alors du côté de la perf (=plastique). Ceci explique d'ailleurs qu'un public qui s'emmerde est un public de perf plastique et non de véritable LECTURE telle que définie ci-dessus. (oui, je sais ce que certains pensent de ce que je viens d'écrire mais je m'en fous).

Notons également que la LECTURE n'est pas forcément orale, elle peut être donnée à voir, à lire au public (inscription de texte, de sigles etc.). Elle reste LECTURE poétique car elle prend en compte la situation de com.

Je vous demanderai donc, chers lecteurs de ceci, de ne plus me qualifier de « performeur », de « poète-performeur » etc. Je ne veux pas que mes poèmes soient « lus » en public comme des performances. Ce sont des poèmes lus. Il serait peut-être bon que cette idée s'étende.

Poésie=écriture de la LECTURE (d'une ECRITURE à lire)



La LECTURE de l'ECRITURE de la LECTURE ou La performance poétique n'existe pas. Un mise au point simple, simplificatrice et partiellement simpliste sur la désignation de « performance » pour la poésie par Julien d'Abrigeon.
Le commentaire de sitaudis.fr Cette mise au point de l'animateur de TAPIN est publiée dans le dernier numéro (29 à 33) de la revue DO(C)KS (avec une barre horizontale au milieu des lettres), merci à Philippe Castellin de nous autoriser à la diffuser sur le Web.

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