Anecdotes de Cyrille Martinez et Poésies I et II de Ducasse par Michaël Moretti

Les Parutions

04 avril
2016

Anecdotes de Cyrille Martinez et Poésies I et II de Ducasse par Michaël Moretti

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Ça dépote chez les poètes !

 

Chez D-Fiction, dans la collection Body double, hommage sans doute à Brian de Palma (1984), paraît un texte contemporain, quasi tête-bêche aux poésies de celui qui ne fit pas que provoquer la rencontre sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ou inspirer des slogans de mai 68 (« Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle ») ou encore énoncer à la serpe des considérations, parfois contradictoires, suggérant réflexions comme « Le plagiat est nécessaire, le progrès l’implique », Isidore Ducasse (Poésies I & II). Ce concept éditorial fructueux existait en papier avec la collection réussie Anciens modernes aux éditions 1:1. C’est d’un e-book qu’il s’agit ici.

 Cyrille Martinez, auteur entre autres de Deux jeunes artistes au chômage (2011) et Musique rapide et lente (2014) dans la collection à la belle couverture, Qui vive, chez Buchet-Chastel, publie Anecdotes chez D-Fiction. Elles sont au nombre de 17, de diverses tailles, comme des contes dont le fait, quasi imperceptible, détonne par ce qu’il révèle. Les chutes sont particulièrement soignées. Une sorte de Les Caractères de La Bruyère ou de l’intemporalité au début du XXIe siècle avec une galerie de portraits de poètes croquignolets. Y apposer des noms ne servirait à rien même si cela pourrait être amusant.

 C’est un doux et salutaire pavé dans la mare, tant attendu, façon vies des hommes illustres ou non dans le microcosme poétique contemporain. Le rude devoir de lucidité a intimé à l’auteur une langue clinique, simple, et partant, abrasive, drôle finalement. L’un de ses éditeurs résume : « l’infralangue, une langue qui ne veut pas avoir l’air de dire et dit sans dire ». La teinte d’humour noir laisse songer à Le K de Buzzati avec un zeste d’observations sociologiques, sans la pointe acerbe des diaristes Goncourt ou Renard. Si les poètes, performeurs et autres créateurs sont examinés au scalpel et au microscope selon un objectivisme entêtant, l’auteur, sans concession, ne s’épargne pas lui-même, tout en sous-entendant en creux, avec la force de la douceur, son amour de la poésie et de la créativité, son empathie pudique pour les personnages. Si des effets déviants de système sont évoqués (les contraintes éditoriales ; les réseaux relationnels  dont les rapports entre éditeurs, organisateurs de lectures et de festival, et les auteurs ; la reconnaissance, symbolique ou non, son manque ou sa surabondance ; les processus de (dé)légitimation ; les querelles d’égocentrismes ; les amitiés utilitaristes ; la radicalité acceptable ; les fatigantes guerres de chapelles, teintées de surdité, entre une poésie dite traditionnelle ou classique et la performance/happening/event ; les inévitables et révélateurs plantages techniques ; les grandes manifestations genre Printemps des poètes avec leur lourdeur bureaucratique), c’est de femmes et d’hommes de chair et de sang, attachants, qu’il est avant tout question (réponses à la commande, susceptibilités, radinerie, plagiat, manque de confiance parfois mu en complexe de supériorité, entêtements).

Certaines expressions sont à mourir de rire : « dans le pays d’accueil provisoire qui s’appelait la France » comme « New York New York » (Deux jeunes artistes au chômage); « afin de ne pas dilapider sa pensée, voyez-vous » ; « registre performanciel »; le pannel s’étend du « poète inédit » ou « artiste sans œuvres » (J-Y. Jouannais), tendant parfois vers le poète maudit, au « grand poète », tel le ‘pataphysique granthauteur, ou « poète de grande réputation » en passant par le «  poète actif ».

 Un regret, une coquille à la quatorzième anecdote : « la personne moins connue de deux ».

Evitant la caricature facile, Cyrille Martinez-le-pointeur relate, sans y toucher, la vitalité d’un milieu complexe à partir de choses vues. Dans les interstices, il glisse ses coups de cœur. Les Anecdotes me remémore l’émission de télévision documentaire franco-belge Strip-tease : le milieu poétique pris ici dans son jus, une pop poésie en quelque sorte. Les débats sont ouverts.

 

 

 

 

 

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