Aujourd'hui rougie de Dominique Meens par Jean-Marc Baillieu

Les Parutions

13 déc.
2010

Aujourd'hui rougie de Dominique Meens par Jean-Marc Baillieu

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Voici un livre sandwich, ce que l'auteur suggère dans son texte interactif de la quatrième de couverture, invitant le lecteur à déchirer « vivement par le milieu et verticalement la page 107 puis la page 301 » deux images qui sont bornes signifiantes de l'ouvrage. Si l'on suit cette prescription, déchirer la page 107 (au verso quasi vierge) est moins gênant que faire de même page 301 dont le verso (p.302) est une page pleine (de mots) qui est la suite de la page 106. Car Aujourd'hui rougie c'est, formellement et stylistiquement, deux entités : d'une part, Pour un Wolman (artiste et situationniste que connut D.M.) qui forme le gros du livre (de la page 107 à la page 301, soit 195 pages), d'autre part ce qui le précède (pp. 7 à 106, soit 100 pages) et ce qui le suit (pp. 302 à 385, soit 84 pages), au total 184 pages regroupant 45 plus 44 séquences (de quelques lignes à plusieurs pages) avec titres (cf. note 1) sous forme de ... (cf. note 2) et en présence de 21 aînés lus et relus (liste p.21), séquences de variations sur le thème de la honte (étymologique, intime, sociale, politique,... ). Et relevons, outre le subtil usage du je et du nous par l'auteur, l'utilisation pondérée et judicieuse des ressources informatiques (documentation digérée et logiciel pour poèmes visuels).

Deux livres pour le prix d'un, en quelque sorte, ou pour les 28 000 euro d'une bourse d'année sabbatique accordée par le CNL à l'auteur qui l'en remercie (p.387) et qui ne les a pas volés (ne vous énervez pas cette fois, monsieur Assouline !), tant son art est accompli (cf. note 3). Il faut prendre le temps de lire ce (ces) livre(s) car Dominique Meens est orfèvre en la manière de synthétiser littérairement sa réflexion nourrie de lectures, de psychanalyse, d'expériences d'écriture et de prestations en public, et de sa vie privée passée (souvenirs) ou présente (par ex. : suite poétique sur sa relation aux arbres : p. 312 et ss.). Les variations de genre (adaptées aux différents propos) n'ennuient pas le lecteur et reflètent l'art consommé (belles pages, parfois en vers, où chaque mot, chaque phrase sont pesées -ajustées au signe près- autour du roitelet, d'une chasse avec un poète sud-américain, d'un épisode trobar, d'extraits d'échanges e-épistolaires,... ) d'un auteur toujours prompt à l'explication, à la justification (« Mon sonnet est irrégulier parce que nous ne sommes plus au temps de Marot », p. 312) et à l'autocritique quasiment angoissée (ou honteuse). Voilà (en raccourci) ce qui constitue les deux tranches qui entourent le Pour un Wolman, hommage au dit Gil J Wolman incluant des poèmes visuels, des chansons, le verbatim d'une radiophonie avortée, des extraits de textes de Wolman, et bien entendu des souvenirs personnels, le tout composant un portrait à facettes dynamique, évidemment non convenu, d'un « homme de bien ».

On pourrait cependant mettre un bémol dans la seconde tranche à propos de la séquence obligée (déjà Gleize, Quintane, Millet,... ont donné leur version de ce qui pourrait devenir un pont-aux-ânes) concernant Tarnac, mal bigornée parce que trop éparse, insuffisamment concise, non exempte de facilités (page « titarnac » et p. 357), en bref souffrant d'une mise en perspective défaillante par rapport à celles dont l'auteur nous gratifie par ailleurs, et dans les Aujourd'hui(s)... précédents (3 volumes chez le même éditeur en 2003, 2007, 2009). Mais cela n'obère qu'à peine la qualité d'un livre sandwich (non exempt de longues citations) ô combien oxygénant, à l'image de l'emballant (ou ébouriffant) épisode final du conférencier qui se termine ainsi : « Horresco referens, le désir de me taire m'a gagné, le désir d'en finir avec ces aujourd'huis qui n'en finissent pas de mûrir, le rouge aux joues virant à la prune blette,... ».


Note 1 : Printemps, Géographies, L'industrie du vide, Cuisine de France, Faits d'hiver, Civilisation, Méthode, Genre, La boulangère, Témoins, Chinoiseries, Le roitelet, Or blanc, Actualité, Le coup de la fin, S'esclaffer, Stevie Wondie, Bazard -sic-, Quelques lettres dont une, etc.

Note 2 : « Aperçus. Aphorismes. Apophtegmes. Boniments. Bribes. Ebauches. Esquisses. Fragments. Inachevés. Inhumations. Notes. Paradoxes. Pensées. Petits touts (sic). Réflexions. Remarques. » : ainsi l'auteur balise-t-il (p.21) le trajet des lecteurs.

Note 3 : en passant, notons que les bourses institutionnelles (censées « permettre à un auteur de dégager du temps libre pour écrire ») rémunèrent en fait par avance l'aboutissement d'un travail d'écriture, sans attendre les droits d'auteur qui ne pourraient (sauf rarissime exception) atteindre ce niveau pour ce type d'ouvrage « de rotation lente » selon le langage de la librairie. C'est une reconnaissance, une récompense étatique pour l'action francophonique d'un auteur qui vivifie, régénère, sublime la langue patrimoniale, ce qui est flagrant et avéré (une quinzaine de livres parus) au cas particulier de notre auteur, comme d'un certain nombre parmi les plus de neuf cents auteurs publiés par P.O.L.
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