bien-vue mal-vue de Louis-Michel de Vaulchier par Murielle Compère-Demarcy

Les Parutions

23 févr.
2016

bien-vue mal-vue de Louis-Michel de Vaulchier par Murielle Compère-Demarcy

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L’entreprise est d’écriture expérimentale, ici. Comme un certain nombre d’opus édités par les éditions de l’Agneau. Travail de mise en pages et pluralité des supports/outils de création, de diffusion et de communication artistiques sous-tendent ce recueil original du poète-plasticien-vidéaste de formation scientifique Louis-Michel de Vaulchier, associant dans sa démarche poétique arts & sciences, écritures et images. Ses publications prennent forme dans des livres, mais aussi s’offrent au public via des lectures-performances (parfois accompagnées de projections et d’accrochages), ou encore des vidéos-poésie. La pluridisciplinarité des champs d’investigation et de création explorés par Louis-Michel de Vaulchier s’exprime d’entrée dans les titres de ses précédentes publications : Matelamatique des genres (2009), Physique de l’horizon (2013), mais aussi la mobilité créative, l’élan de créativité pressentis dans L’A-venue (2007), Lecture sur le pas (2014).

L’idée est de chambouler la mise en pages, de désarticuler les structures/armatures et la syntaxe formelle, désaxer l’organisation du texte, ouvrir l’espace à toute tentative innovante / déstabilisante d’une énonciation visuelle et scripturale du poème même, au-delà de l’enfermement, à l’instar de l’héroïne des sols et des plafonds, des hauteurs et des planchers, dont nous suivons le cheminement dans ce bien-vue mal-vue. « Je suis enfermée jusqu’au soir » crient l’héroïne et les mots d’emblée. La voix du poète écrit sa libération au fil de 84 pages déroulées dans la soie d’un long poème où s’exprime aussi l’autre de soi.

Le poème actionne ici la colossale Machine du Méta-Langage d’un microcosme, dont la fabuleuse et monstrueuse mécanique détraque la mesure de l’espace-temps et de la Langue. La mécanique défie le flux de l’écriture où le poète introduit malicieusement un grain de fantaisie loufoque mais sérieusement réaliste aussi, dans le fonctionnement soyeux de ses engrenages. Des pièges font obstacle, des espaces ouverts qui peuvent à tout bout de champ se refermer, et clore la page des événements.

A…

Anov…

Nouv…

Voir…

Devoir encore une fois.

Encore.

Embrouillé.

Empêtré dans son propre piège.

(p.11)

Une histoire est convoquée, déroulant son modus scribendi à la façon d’un conte. S’ancrant et sortant sa "fabulante" et fabuleuse Imagerie / "Imaginarium" d’«un petit tiroir », « secret dispositif imaginé afin d’observer à loisir une femme assise devant une table de toilette. » 

Une intrigue s’en mêle, pour le lecteur ici forcément voyeur (face aux bribes d’une vie mal-vue bien-vue) que nous sommes, avec « un découpage frénétique de feuilles blanches accompagn(ant) la poursuite au long des rues d’un mannequin de vitrines emmené à la décharge, à son tour découpé, éparpillé, refait. » Puis la langue y joue ses cartes, ses atouts, ses tours de passe-passe et autres fantaisies, « une autre langue (qui) s’inspire des chants et gestes d’une rockeuse pour inventer une langue inconnue permettant de dire autrement. » [Source : quatrième de couverture].

Ainsi le poète nous propose le télescopage de trois scenarii de courts métrages originaux issus de la vie quotidienne, multipliant le regard qui est aussi le nôtre, pour raconter le phrasé déroutant et dérouté de nos habitudes, évidentes et pourtant insoupçonnées quelquefois, parce que souterraines ou mal vues : le road-movie d’une bestiole tisserande portant dans ses gênes la malédiction d’Athéna et qui nous conte, sur le seuil, son voyage d’une plinthe jusqu’au tiroir d’une coiffeuse d’où elle va contempler, sur le bord, la propriétaire en nous la dévoilant ; la poursuite d’un mannequin mis au rebus, prêt d’être désarticulé ; enfin l’histoire d’une langue inconnue à travers l’existence haute en couleurs d’une rockeuse pas ordinaire.

Les bons ingrédients lient le menu dans une sauce à la fois traditionnelle et pop-rock déjantée suffisamment populaire et funky pour émoustiller l’appétit : celui de vouloir suivre les pérégrinations boostées d’adrénaline dune arachnide fragile, incertaine de son destin, oscillant entre liberté et enfermement, mêlée dans le fil de son histoire à un découpage des mots et des pages avec, pour toile de fond la poursuite d’un mannequin promis au démembrement et le chant d’une rockeuse au langage et gestes foutraques. Le suspens file la métaphore et tend sa toile, prêt de nous tendre un nouveau piège où nous prendre dans les filets de la trame –le challenge est gagné !

Les textes publiés par les éditions de l’Agneau, dirigées par Françoise Favretto et productrices également de la Revue l’intranquille, ont la particularité de bousculer notre alphabet. L’alphabet de notre langue, du monde, de nos modes de lecture. La démarche de l’éditeur peut être visionnée à partir du lien : http://atelierdelagneau.com, via le blog http://chronercri.wordpress.com/ ou via les réseaux sociaux.

D’emblée Louis-Michel de Vaulchier bouscule la norme par des premiers mots écrits de droite à gauche, de la marge gauche de la page vers sa marge droite, sectionnant les mots comme un mannequin démembré de la Langue, inversant des lettres, jouant de la ponctuation, de la typographie dans une mise en espace scénarisée du texte parfois mi-calligramme mi-tract/affichette/flyer, signalétique scripturale encadrant l’image ou réinventant le traitement de textes, « Feuille découpée » (p.44-45), « Fuite en blanc » (p.46), « Selon les lignes » (p.47-49), patron découpé de strophes en découpages de mots tronqués, grisés, traqués comme une arachnide de


nos pensées tissant sa soie dans notre quotidien suspendu dans le vide dans le cours de nos pérégrinations et réflexions…

Poème-Mannequin désarticulé, une autre langue sténographe trans-phonétique transformée, morse poétique de monstrueuse Hydre de Lerne du Langage, une Grande Bouche abouchée/ atrophiée ou hypertrophiée dans l’enfermement du mutisme ou logorrhée, abouchée / mal-embouchée à la source, aux affluents et à la confluence des mots / de nos maux, leur taillant, sur la coiffeuse, une coupe – bien-vue mal-vue recoupe tout cela.



Les ciseaux sont tombés

Les permanents grincements et clics se sont tus

(p.58)



L’histoire commence dans le fond d’un tiroir, où l’enfermement ou l’occupation des lieux forme « un paradis » ou « une prison ». Entre profusion, dissémination du blanc, la blancheur inventée d’un papier, et les sauts du noir qui se répand et s’assemble en lettres sur la page comme sauts d’insectes / sauts de puce. L’histoire commence dans le fond de tiroir d’une coiffeuse, après le passage hors d’une plinthe où se tassait, à longueur de jour, une octo-membres domestique, pliée en quatre depuis, occupante provisoire de ce tiroir désormais, à la charnière entre emprisonnement et liberté. Un fond de tiroir comme une idée saugrenue, une araignée au plafond, prête de fondre ou craignant que le ciel sur elle ne s’effondre, ciseau-de-Damoclès, sur le fil –ou la lame- d’une vie bien vue-mal vue, déroulée au fil de l’écriture sur la « Fuite en blanc » de 84 pages. L’histoire commence---

bien-vue mal-vue –poésie spatiale- résonne comme une vaste synesthésie mise en mots et en lumière dans la fibre / crypte "scripturaire". Odyssée de l’espace ou odyssée des espaces d’une poésie à huit pattes explorant un microcosme d’arachnide -glauque et de lumière-, démantibulé et légendaire. Sur le bord, de la feuille, du vertige, par-delà l’encombrement, l’enfermement, dans l’audace risquée du démembrement des possibles. Dans l’espace très mince mais infini des balancements des traversées des chutes alternatives des lignes tendues et tentées par le fil déroulé de nos destins minuscules majestueusement rendus par le fil poétique de nos vies d’écritures.



-------- Silence

Silence dans un silence.

Se tenir prêt.

Au bord.

Tout au bord de la feuille.

Patienter en grattant le papier.

(Ce bruit de griffes.)

La pointe du stylo grave des zigzags noirs.

 

Quatre pairs d’yeux.

Froisser la page et dans ce froissement l’agitation attendue.

Froisser plus vite, beaucoup plus vite, plus vite encore

et la boule de papier s’échappe, tombe sur le parquet….

… Lentement elle se déplie, les dessins se redressent

et mes membres se détendent…

 

Voilà. Je suis prête, décidée.

Car ELLE a laissé un tiroir ouvert.

C’est le moment.

Sortir de sous la plinthe et courir aussi vite que POSSIBLE,

puisqu’il lui arrive de revenir

(((alors : le bouton près de la

porte ouverte d’un coup>>>>>>>>

cette lumière venue du plafond, PROJETÉE jusque dans les coins les

plus reculés << ˆ ˆ >>==<< ? >>, laiteuse dispersion, intégral éclairage

de tout le caché HABITUEL)))

 

Tout le caché habituel, rhizome d’histoires d’un réel-gigogne, projeté par le projecteur prismatique et polychrome d’une poésie en teinte expérimentale bien-vue mal-vue.

L’histoire commence dans le fond de tiroir d’… L’histoire commence--- La poésie, aussi…



 

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