Boxing parade de Pascale Bouhénic par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Parutions

14 nov.
2012

Boxing parade de Pascale Bouhénic par Jean-Paul Gavard-Perret

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                                  L’ECRITURE A L’ESTOMAC

 

 

 

 

 

Pascale Bouhénic est connue et reconnue  en tant que documentariste. Elle réalisa dans la série « L’Atelier d’Ecriture » des portraits d’écrivains de premier plan : entre autres Valère Novarina, Christian Prigent, Olivier Cadiot.  Elle a réalisé aussi un documentaire remarquable sur le peintre Max Beckmann et prépare actuellement une nouvelle série « Un œil, une histoire » (pour la chaîne Histoire)  dont le premier sera consacré à Georges Didi-Huberman.

 Membre du comité de rédaction de la revue « Vacarme » elle a publié un premier récit « L’Alliance » (Melville éditeur) consacré à Mohamed Ali. Elle récidive ou poursuit  avec « Boxing Parade ».

Le livre est constitué de dix récits à couper le souffle. Ils mettent en scène dix boxeurs de légende : Marcel Cerdan, Jack Johnson, Gene Tunney, Max Schemling, Daniel Mendoza, Georges Carpentier, Eugène Criqui, Jack la Motta. Deux héros manquent à l’appel. Seuls les mordus du noble art sauront retrouver…

 Mais ce n’est là qu’un détail.  Pascale Bouhénic raconte des vies aussi héroïques que rocambolesques, jalonnées d’histoires d’amour, de drames, de doutes. Pour autant ces narrations ne sont en rien des « biopics ». L’auteur a choisi d’écrire ces récits en vers. Ce parti-pris rhétorique est important. Il crée un rythme rapide, palpitant - ce qui n’empêche pas des passages plus lents. Bref le vers libre donne au livre une souplesse qui lui convient parfaitement.

 Cette forme montre combien les boxeurs eux aussi sont des explorateurs capables de découvrir sur eux-mêmes autant que sur leurs adversaires ce que tout le monde ignore. Et peut-être parce qu’elle est femme, l’auteur fait acte envers ces héros d’une « piété » particulière. Elle provoque un saut vers ce qui échappe jusqu’aux plus passionnés de ce sport particulier : il faisait dire au boxeur  Larry Holmes « C’est dur d’être noir. Vous n’avez jamais été noir ? J’étais noir autrefois, quand j’étais pauvre ».

 Le récit versifié jette les héros hors d’eux-mêmes tout en faisant pénétrer ce qui secoue leur buste lorsqu’ils se lancent vers la ligne d’horizon d’un autre corps non par pulsion mais fougue doublée parfois d’un désarroi étrange. Pour autant même quand la douleur est lancinante, dans la vie comme sur le ring le corps de tels héros ne pleure pas : il ne demande qu’à rire et danser.

 Il faut lire « Boxing Parade» comme des contes dont la morale passe par la mise en valeur existentielle du verbe. On est loin en effet d’une figuration narrative ordinaire. Fût-elle déviante.  Tous les personnages manifestent une ambiguïté, une incertitude. Ils ne font plus partie de la programmation de l’humain ordinairement vivable.

 La transgression de l’écriture répond à celle d’un tel sport. Elle montre que – même en le mettant K.O. - l’on ne peut jamais  atteindre l’autre et que tout replonge dans l’enfermement du même. Il n’en demeure pas moins que le livre comme la boxe procurent une joie terrible  grâce au corps, aux mains, aux regards et parfois des vies brisées.

 Le corps devient lui-même langage. Il fait donc retour au-delà des coups à une matière jouissante. Dans leur solitude chacun  de ses héros au cou de taureau rayonne. Mais Pascale Bouhénic sait glisser une lumière d’abîme dans les imageries héroïques. Elle n’intellectualise pas le corps. Sa langue à l’inverse « corporise » l’intellect, redouble la force des combatspar son intensité, sa puissance, son originalité.  L’auteur ose en effet ce qu’on trouve rarement dans la littérature : dire combien, l’apprentissage de la liberté d’être passe – pour les déclassés - par le physique.

 Les boxeurs permettent aussi à l’auteur d’atteindre ce qu’un autre auteur féminin - Nathalie Gassel - nomme  la « transgression utile de la femme libérée de la femme ».  Soudain et prenant le pas sur le modèle d’un héros par essence et par statut machiste Pascale Bouhénic montre comment le supplément de muscle - matière de séduction parce que matière de puissance - crée un supplément d’âme. Elle renverse toutes les mièvreries, transcende les poncifs sur la boxe pour lui donner une autre dimension. Plus humaine. Plus érotique aussi.

 Son texte dépasse une simple écriture du corps qui trop souvent tourne autour du pot (et de la peau) et refuse de pénétrer les fibres. « Boxing Parade » montre comment le passage à l’être s’effectue dans ce qui pour beaucoup reste un phénomène de foire. Rares sont les livres qui permettent de sortir par la chair  du gouffre illettré de soi. Or cet abîme trouve ici voix afin que se déploient une fougue, une volupté qui ne peuvent qu’interroger et mettre à mal les certitudes autant des femmes que des mâles. Tous doivent recevoir ce livre comme un uppercut, un direct à leur foie, une audace.

 

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