Brefs - discours de Pierre Alferi par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Parutions

02 mai
2016

Brefs - discours de Pierre Alferi par Jean-Paul Gavard-Perret

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Paraissent pratiquement au même moment et chez le même éditeur deux livres qui explorent un champ identique : « Brefs » de Pierre Alferi et « Histoire de la littérature récente, tome 1 » d’Olivier Cadiot. Mais là où le second fait le malin et prend des poses en soignant effets de manches et de style à travers des « figures », Pierre Alferi prend le chemin inverse. La vraie liberté est chez lui bien plus que dans les épisodes et variations quelque peu farcesques et prétentieuses de Cadiot (la tentation de l’aphorisme rôde et l’auteur y succombe).

A l’inverse de celui-ci, Alferi n’est pas un auteur en représentation. Il analyse divers types de lecture et de préhension qui échappent au système de la mode et à celui d’un compassé du récit littéraire et du reportage romancé. Il prouve que les voies de la poésie et du discours sont moins impénétrables qu’il n’y paraît. Elles passent en ce livre par la genèse des formes et leur système. Et ce à travers diverses pistes de la  « prosodie » au « théâtre de papier » en passant de « l’écrit à l’écran ».

La linéarité du sens unique s’y démultiplie en créant des dissonances essentielles. Certes « Le ton n’est pas toujours sérieux » écrit Alferi. Il ajoute : « Limité par le temps, je procède quelquefois par simples assertions, qui se lisent alors comme les têtes de chapitres manquants ». Voire. Ces « brefs discours laissés en l’état » sont plus solides que l’auteur veut bien le laisser croire. Et celui-ci de préciser : « poèmes prosaïques, visuels ou animés, récits digressifs ou hétérogènes, figures de monstres, films dansants, fantômes tracés suggèrent une certaine politique des formes. Ils plaident pour une imagination technique assez négligée – ou mal vue – en littérature ».

Mais en lieu et place des effets de  dissolving views chères à Derrida, Alferi oriente vers une autre perception intellectuelle : celle d'un  « perdre voir » qui est tout autant un « sur voir ». Il permet de marquer la différence entre narration discursive et poésie non par une logique aristotélicienne mais par ce qu’on pourrait appeler des adventices. L’auteur prouve qu’entre l’imaginaire et l’entendement les « mises » sont différentes. 

Il montre comment les tours de manège entre les essences et les apparences  s’opposent quant à la manière de les appréhender suivant les « genres » et la  philosophie de l’existence qu’ils engagent. A la littérature basique qui présuppose un  « objet », le « poétique » selon Alferi oppose une absence, une vacance. L’ « illumination » du corps des images ne couvre donc plus le même champ  d’expérience, d’appréhension, de compréhension et d’émergence. L’auteur le souligne à travers divers exemples de formes ou de voies. Il existe par exemple de belles pages sur la codification informatique et le cyberspace ou sur le « trafic » instauré par Tati dans le film du même titre avec ses subtiles « effets retard».

Chaque « discours » devient une zone de fouilles capables d’atteindre le vortex de la machinerie de l’écriture donc celle de l’être, du réel et de leur transfiguration.  Le poétique tel que le décline l’auteur devient le signe de l’ordre de la régénérescence comme celui du chaos. Bref le lieu où tout commence. Pour  figurer ce jaillissement  et soulever cet abîme de feu, Alferi récupère diverses formes minoritaires. Il prend donc à rebours la tradition occidentale qui a assoupi ce feu ou l’a déporté selon des postulations issues de censures morales ou à l’inverse  de feintes d’exposition.

 

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