Bruts de volière de Tristan Felix et Maurice Mourier par François Huglo

Les Parutions

21 avril
2016

Bruts de volière de Tristan Felix et Maurice Mourier par François Huglo

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      Pour faire le portrait d’un oiseau, on peut demander à Prévert, à Garnier, à Demarcq. Maurice Mourier, dans le n°2 de la revue diasporiques, faisait le portrait d’ « un drôle d’oiseau », Tristan Felix, rencontrée à la Halle Saint-Pierre : « Dans cette salle de peu d’espace, aux installations basiques, s’agitaient naguère d’étranges créatures scéniques, sous le nom improbable de Pergonicaspop (…). Ça ne ressemblait à rien, ça piaillait, ou roucoulait, parfois en des langues inconnues, fabriquées, hérissées ou savoureuses ». Bref, une volière. Les marionnettes de Tristan Felix survécurent à Pergonicaspop, confectionnées selon la technique du nid, « à partir de n’importe quoi : des débris, brindilles, mousses, brimborions métalliques, plumes trouvées dans les bois, tissus , substances calamiteuses diverses ». On retrouvera cette technique à l’œuvre dans le « show périlleux et solitaire » du clown Gove de Crustace, intitulé Babel Babil, et dans sa « défroque impossible, faite de sac à patates, gants à vaisselle troués, balai de ménagère, chaussettes dépareillées », puis dans les premières publications de Tristan Felix, reconnaissable à « certain foisonnement expérimental affectant le ou plutôt les dialectes du poète, et à une charge d’angoisse que les textes, généralement courts, véhiculent à travers l’effort même qu’ils accomplissent pour la dissimuler ». N’est-ce pas là une parfaite définition de l’humour noir ? Maurice Mourier, qui se souvient du « Michaux du Grand combat, en plus ébouriffé cependant et moins soucieux de plaire », constate que « le nom seul » de Tristan Felix « dit, comme Villon, "Je ris en pleurs" ».

      Elle-même volière comme en témoigne « la prolifération d’hétéronymes à la Pessoa » (ou à la Ch’Vavar) et d’activités (« photo, vidéo, clowneries, poèmes, confection jubilatoire de potions magiques à base de plantes ou de chairs »), Tristan Felix ne joue pas perso. L’aventure de La Passe fut celle d’une « translittération (Philippe Blondeau dit "translation") d’un langage poétique à un autre dans la même langue », qui rappelle à Maurice Mourier les « "divers jeux rustiques" auxquels se livrait Du Bellay, qui s’inscrivait lui-même dans le sillage des "grands rhétoriqueurs" de la génération précédente ».

      Le présent ouvrage est lui-même une « translation » de dessins de Tristan Felix en textes de Maurice Mourier ou l’inverse, parmi lesquels Tristan coucou pond ses « ovèmes ». Leur verve en vers jactés, proférés, dégoisés, contraste avec une approche en prose qui peut rappeler celle des Histoires naturelles de Jules Renard et d’autres « auteurs de dictées » (il m’a fallu du temps pour comprendre que ces savoureux morceaux de choix, ces exemplaires morceaux choisis par le maître qui les calligraphiait au tableau et les signait de noms d’auteurs : Colette, Pagnol, Giono, etc., appartenaient à des livres). La modestie de ce soin, de cette précaution, qui rapproche Maurice Mourier des « auteurs de dictées », fait mouche plus sûrement que ceux (moins rares) qui ne côtoient que les génies —qu’ils tutoient.

      Les vers de Tristan Felix succèdent aux proses de Maurice Mourier comme des airs à des récitatifs, ou les instruments de l’orchestre à la voix humaine dans Pierre et le loup. Il y aurait peut-être aussi, entre Tristan Felix et Maurice Mourier, la même différence qu’entre le théâtre et le cinéma (qui a fait l’objet d’essais et de critiques de Mourier, par ailleurs romancier), ou plutôt entre celle qui occupe l’espace face à la caméra et celui qui, derrière, compose un plan. Les proses de Mourier sont muettes comme le regard (elles marchent à pas de chat vers l’oiseau qu’elles guettent), muettes pour mieux écouter, la pie par exemple : « sa voix métallique & le plus souvent rocailleuse, en crépitement d’osselets déversés d’un coup sur une table de laque, sait parfois se faire lente & interrogative, avec en bout de notes grincées un ton engageant qui grasseye ». Les vers de Felix sont sonores comme le corps. Elle mime la pie et lance son cri : « J’ai plus d’bagouzes que tu n’as d’bagout / vieux hibou ». Il se peut cependant que l’un(e) contamine l’autre, l’entraîne (le translate) sur son terrain, et qu’on ne sache plus bien de qui sont ces œufs : des vers peuvent être de Maurice Mourier (Le Poisson d’aile, fable à la manière d’un La Fontaine didactique ou d’un Florian), des proses de Tristan Felix. Le portrait par Mourier du Lok-Lok est loufoque, son Paon troglodyte ressemble au biglotron de Pierre Dac : « Peu fonctionnels pour la marche ou le saut, les appendices inférieurs de l’animal, pourvus de fortes griffes hélicoïdales, constituent un très efficace trépan lorsque son corps cylindro-conique & suiffé par des glandes sudoripares spéciales s’anime d’un mouvement giratoire uniformément accéléré ». À quoi bon se demander qui, de Maurice ou de Tristan, a vu le premier l’Avis Tulle et l’Avis sans fin ? Entre Mourier et Felix comme entre George Martin et les Beatles, la connivence et l’émulation intergénérationnelles sont contagieuses comme un fou-rire.

 

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