Ce fut un plaisir de Charles Pennequin par Bruno Fern

Les Parutions

12 mai
2016

Ce fut un plaisir de Charles Pennequin par Bruno Fern

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C’est un cahier à spirales format A5, de 44 pages, avec des carreaux 5 x 5. Le titre intrigue, de même que le texte en 4ème de couverture qui, comme l’ensemble du livre, a été tapé à la machine à écrire du siècle dernier, erreurs de frappe incluses, par-dessus un document comptable d’entreprise. L’auteur (ou du moins ce qui semble en tenir lieu) y annonce qu’il sera question d’un conflit aussi vieux que l’écriture : lutter contre cette invasion permanente « par le parler la parole », non pas en faisant de beaux discours qu’il préfère laisser aux professionnels du genre1 mais en n’évitant pas « le seul sujet valable pour soi : le parler-cancrelat qu’on habite en pagure peut-être pour se protéger de ce qui se pense sans lui. ».

Un combat qui a de fortes chances de durer toute une vie pour le dénommé Charles Pennequin qui, sur la photo en 2ème de couverture, fixe le lecteur avec des yeux un tantinet exorbités, comme s’ils voulaient sortir de leurs trous. Quoi qu’il en soit, un tel regard est à l’image de ce personnage mal identifié, y compris par lui-même, qui, d’abord, « s’était mis dans la tête de nuire à ses parents » puis « a trouvé plus simple de se séparer » d’eux avant de tenter à plusieurs reprises de « se séparer un peu de lui ». Le hic, c’est que cet autre dont il voudrait se débarrasser coïncide parfois tellement avec lui que la situation devient vite inextricable : « il faudrait frapper dans cet autre qui l’avait investi frapper dans celui qui avait fini par prendre toute la place de l’autre alors que c’était à l’autre de décider lui-même c’était à l’autre et non à lui. » Bref, il y a largement de quoi s’emmêler les pinceaux de l’identité – autrement dit par Jean-Jacques Lebel : « La poésie est une passion qui nous rend schizophrènes, qui fait sortir les autres « je » en soi. »2 ou si vous préférez la version Tristan Corbière : « Je parle sous moi. »3 , citation qui va plutôt bien à C. Pennequin qui se déclare comme étant « absolument vivant. C’est-à-dire dans la merde. »4.

Et ainsi de suite puisque suite il y a, narrative mais à sa manière insolite, avec d’incessants allers-retours entre celui qui « jamais n’avait eu le moindre lui c’est-à-dire la moindre baraque » et l’autre qui en possédait une – et ce jusqu’au dessin de deux profils face à face qui marque le passage de la 3ème à la 1ère personne, même si « c’est pas prouvé que j’existe ». Au fond, l’essentiel, c’est qu’il y ait « un peuple là-dessous qui ne demande qu’à sortir, […] toute une foule de matière, de figures, qui demande pas mieux de remplir notre solitude ». Etc. – car je ne vais pas vous raconter dans les détails les péripéties du héros au minimum dédoublé jusqu’à l’épitaphe et la dispersion finale aux échos d’Écclésiaste relooké : « qu’on y veuille quoi / en moi / qui fait de moi du vent / qui vient vent cueille / en moi / qui va du vent / qui y revient »

On est très loin ici des nombreuses contrefaçons du style pennequien qui, le plus souvent, tournent en rond autour d’un nombril où, si l’on gratte un peu, on trouvera une bonne couche de lyrico-fadasse. En effet, il y a à la fois :

délabrement, malgré ou plutôt à cause de l’énergie d’un phrasé marqué par une oralité qui a tendance à emporter le décor avec elle, et composition, à l’échelle de chacune des parties et du livre ; 

comique et tragique : « Je suis allergique à tout ce qui se trame dans l’univers. » ou « combien le prix du vivant / la facture / ça s’élève à combien / toute une vie ? / la vie ne coûte pas cher »5

Ce qui, pour ma part, m’évoque autant Beckett que Jandl, entre autres références. Sans oublier, contrairement à ce que l’on pourrait croire, un frottement des différents registres de langue qui permet aussi de faire quelques étincelles : « et que cela m’immobilise une bonne fois pour toutes en plein mitan de ces maudites lignes au seuil de ma singularité et à l’orée des emmerdes. » À la fin, on peut donc relire le titre.

 

 

1 « politique et philo, les deux mamelles de l’écrivaillon d’aujourd’hui. savoir et instruction. délicatesse et productivité sobre, mais alerte, avec la ponctuation des élites. les écrivains se la pètent supérieur. ils regardent le lecteur du haut de leurs points-virgules : ils t’emmerdent grave petit lecteur. » (Les Exozomes, POL, 2016)

2 Zigzag poésie, revue Autrement, 2001.

3 Les amours jaunes, 1873.

4 Cf. ce qu’il a écrit en matière(s) de biographie : http://papalagi.blog.lemonde.fr/2012/06/04/charles-pennequin-est-vivant-absolument-vivant-cest-a-dire-dans-la-merde/

 5 Ce qui renvoie à la forme matérielle du livre, comme s’il s’agissait d’y tenir des comptes.

 

 

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