Factures du temps de Didier Vergnaud par Marie Cazenave

Les Parutions

29 juin
2014

Factures du temps de Didier Vergnaud par Marie Cazenave

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   Didier Vergnaud, poète et critique fondateur de la maison d’édition Le bleu du ciel et de la revue murale de poésie L’Affiche, a commencé à publier en 1985. Les poèmes de Factures du temps ont été écrits sur plus de vingt ans et présentent de ce fait une certaine hétérogénéité. Certains comportent des phrases et des majuscules mais d’autres, la plupart, sont une juxtaposition de mots, associés sans syntaxe ou ponctuation qui puisse faire le lien entre eux. Distillés d’un vers sur l’autre, ils sont éloignés, en dernier recours, par un blanc typographique qui enfle parfois.

   L’écriture met à distance toute subjectivité, le « je lyrique » est particulièrement effacé, à la limite de la disparition. Et si au fil des poèmes, l’on en vient à esquisser quelques traits d’un portrait, à émettre des hypothèses, aucune n’est confirmée, toutes s’évaporent dans l’infini des possibilités sémantiques suggérées. En effet, l’écriture fragmentaire semble faire l’expérience de l’expression individuelle. Comme si la parole peinait à être rendue audible, certains poèmes mettent en place des jeux phonétiques, ânonnant plusieurs fois le même son comme un enfant joue à babiller :

   L’auteur fait un véritable travail sur l’implicite, le non-verbal, il emploie des homophones et des mots polysémiques, renvoyant ici à un implicite commun qui permettrait de choisir entre deux sens différents. Pour autant, il indique cette double possibilité sans guider notre choix, nous laissant décrypter le sens. Les associations de mots qui pourraient aussi fonctionner comme des métaphores sont également déroutantes car leurs référents ne sont pas identifiables de manière claire.

 

la voix

à s’enfoncer

comme ça

comme venu

s’enfoncer

s’en aller

 

ingérence

ignorance

évidente victime

 

serpent de mer de la bifurcation

 

il faut en appeler d’autres

 

droit

depuis le temps que tu le remarques

 

   Écrits sur un laps de temps particulièrement long, les poèmes sont également une véritable mémoire personnelle. Mais c’est une mémoire vivante, qui se fabrique elle-même, oubliant, ajoutant, transformant. L’écriture de Didier Vergnaud est ainsi parcourue de silences, d’ellipses, de reculs, d’effets d’opacité plus ou moins denses entre conscient et inconscient. Il travaille la glaise poétique, non par ajout comme d’ordinaire, mais par suppression, élimination et silence. Pourtant, à travers les strates temporelles se font jour  d’éternels retours, des effets d’échos et de répétitions. Le lecteur peut ainsi relever des thèmes, obsessions lancinantes de l’auteur, qui sont pour lui comme autant de fils conducteurs assurant la continuité de l’ouvrage : des ressentis corporels, un accident, de voiture sans doute, qui semble avoir été une déflagration, peut-être un hôpital, une disparition, des règlements et des comptes.Mais surtout une parole individuelle agressée avec beaucoup de violence, jamais autorisée et même interdite : « En bouche/Une porte fermée »

   Encore marquée par les contradictions et les reculs, elle s’obstine pourtant, se répète, se développe, se déplie au fil des pages et du temps pour enfin arriver à se dire…

 

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