Il Particolare, 29 et 30 par Tristan Hordé

Les Parutions

25 févr.
2016

Il Particolare, 29 et 30 par Tristan Hordé

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     Après la publication de deux numéros de la revue, son fondateur, Hervé Castanet, en précisait dans un entretien l’orientation : « Nous publierons des textes de poésie, mais aussi des textes sur ou par des artistes, des textes sur l'art, qui ne se réduit pas à une sublimation esthétique, des articles de théorie critique ». Le fort volume contenant tête-bêche deux cahiers illustre exactement le projet, ajoutant aux deux dossiers un ensemble de poèmes de Claude Minière (C’est, n° 29) et des réflexions de Jean-Luc Nancy (Sexistence, n° 30).

     La poésie de Jean-Patrice Courtois, honorée dans un poème (François Rannou, à partir de Complication du sommeil), étudiée dans son ensemble (Martin Rueff), dans un recueil ou une de ses parties (Emmanuel Laugier, Victor Martinez, Christian Andwandter), est présentée dans un entretien conduit par Pierre-Yves Soucy. Est mise en avant la place accordée par le poète aux réalités contemporaines, non seulement culturelles, mais aussi politiques et sociales ; entrent donc également dans ses textes ce qui concerne depuis quelques décennies les effets des recherches scientifiques et de la technologie, les atteintes à l’environnement : on relira Mélodie et Jugement où Courtois met en parallèle la destruction aujourd’hui de la nature avec les tableaux bucoliques de Cyrano de Bergerac dont des Lettres sont publiées dans le même livre (2013, éditions 1 : 1). La préoccupation, constante, du réel dans la poésie de Courtois est lisible dans les extraits de Théorèmes de la nature donnés ici et dans la conclusion de l’entretien, où il résume clairement son propos : « Le poème s’essaie à traverser ces séparations détériorées entre sciences, nature, écologie, arts, mémoire des choses qui sont arrivées, langues naturelles et réelles, qui constituent la confiscation de l’expérience et des expériences. »

     Pour le dossier consacré à Max Charvolen, il est introduit par le poète et critique d’art Raphaël Monticelli qui accompagne depuis longtemps l’activité du peintre. On suivra un parcours qui, depuis les débuts, questionne l’art, les conditions dans lesquelles l’œuvre est élaborée et la manière dont elle est exposée et reçue. Rien d’isolé dans la démarche : plus ou moins nettement, elle était à l’origine de groupes (comme, par exemple, intervention ou Groupe 70) qui se préoccupaient de sortir du domaine artistique et s’intéressaient aux sciences humaines, au statut de l’art dans la société. De là naissent des problèmes qui ne peuvent être résolus par les seules techniques apprises aux Beaux-arts : comment le tableau peut-il traiter l’espace, la ville pour en rendre compte ?

     Charvolen, comme d’autres peintres, a recouru rapidement à des techniques extérieures aux arts plastiques, notamment l’usage de colles diverses et celui de la machine à coudre. En effet, si l’on considère la toile hors du châssis, toute une série de manipulations impossibles autrement peuvent être faites, « pliage, froissage, découpe, collage, agrafage ». La réunion de fragments découpés en d’autres formes que celle de la toile d’origine, fait apparaître ce qui n’était pas du tout en question dans la tradition : que montre-t-on dans une galerie, dans un musée ? qu’est-ce qui a disparu ? Ensuite, le recouvrement d’un objet par la toile, son décollement et sa fixation sur un support à deux dimensions, soulève notamment la question du domaine d’intervention de l’art. La limite a été posée dès la fin du xixe siècle avec les moulages sur nature, puis par Marcel Duchamp ; la question est reprise par Charvolen, d’une part parce que ses empreintes sont opérées à partir d’objets de grande dimension — par exemple un escalier, un site archéologique —, d’autre part parce qu’il intègre dans l’œuvre l’enregistrement par la caméra de son élaboration et de sa réception, « du vécu d’un lieu ». Il y a là la volonté de « situer l’œuvre comme étant [...] l’effet du travail qui l’a produite ».

     On n’épuise pas en quelques lignes ces deux dossiers très denses, chacun accompagné d’une bibliographie, celui voué à Charvolen de nombreuses illustrations. Leur lecture conduit à lire ou relire un poète dont la poésie associe la réflexion et l’expérience sensible du monde, à regarder autrement les travaux d’un peintre qui renvoient « sans jamais trancher, du réel à l’œuvre, de l’œuvre au réel ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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