Johnny de Catherine Soullard, extrait

Les Parutions

05 août
2008

Johnny de Catherine Soullard, extrait

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Récit halluciné et hallucinant qui naît du chef d'œuvre de Nicolas Ray, de ses pics et de ses gouffres émotionnels, de ses failles pour susciter un autre récit, plus intime, relié au premier livre publié de l'auteur, Palmito d'Evian.
Arrachées à l'hébétude de la salle obscure par la puissance de l'écriture, les deux récits s'intriquent et plongent le lecteur dans un état plus rare et puissant que celui suscité par une projection de film, un état paradoxal nécessitant l'invention d'un mot baroque comme léth-agie .



EXTRAIT





Emma est à la tête d'une patrouille en délire, ils chevauchent dans la plaine, ils traversent le plan, la poussière se soulève, elle fait des tourbillons, on en a plein les yeux, on en a dans la bouche et le goût en est âcre, il y en a partout, dans le moindre recoin, et les chevaux galopent, leurs jambes n'arrêtent pas, la horde poursuit son but, sait-elle encore lequel, elle suit la petite Emma, sa nouvelle égérie, elle fera comme elle dit et elle, elle s'abandonne aux forces démoniaques qui l'emmènent maintenant bien plus loin qu'Albuquerque, Emma n'existe plus, plus de petite Emma, sa robe est en taffetas, un lourd taffetas grossier, c'est une robe noire parce que son frère est mort, qu'elle l'a porté en terre avec le groupe des hommes qui sont tous autour d'elle, et sur ses cheveux courts, elle a mis une mantille, ça ne lui ressemble pas, ça lui a échappé, elle l'a trouvée seyante, elle en a eu envie, comme une vierge farouche qui voudrait se montrer et aussi se cacher mais c'est une coquetterie qui ne durera pas, à peine l'aura-t-on vue, l'aura-t-on remarquée à l'instant de tomber, dans la course effrénée qu'elle mène avec les autres, elle ne l'a même pas vue, elle est dans l'animal, dans le cheval en sueur dont elle serre les flancs, elle crie et elle l'excite pour qu'il coure, qu'il aille encore plus vite, qu'il galope toujours et ne s'arrête pas, sa vengeance est au bout, Emma est une furie, son sourire maléfique, elle le jette où elle peut, sur la maison en flammes de celle qu'elle voudrait tuer, regardez ses yeux s'extasiant sur le feu qu'elle vient d'allumer, le visage rougeoyant, elle danse dans les flammes, c'est elle qui flamboie, elle réduit tout en cendres, elle est devant son œuvre, et c'est un incendie, le saloon de Vienna qui craque de partout et crépite et s'effondre, ça fait un tel bruit qu'on croit que la terre s'ouvre et qu'un volcan explose, elle est dans chaque flamme, chaque braise, chaque tison ardent, dans chaque poussière chaude, dans le vent et le feu qui, ce soir comme toujours, ont fait cause commune, ses yeux sont extatiques, leur prunelle élargie, c'est la lumière du feu qui s'y est incrustée comme deux dures étincelles, sa bouche s'humidifie, c'est le plaisir en elle qui sourd doucement à mesure qu'elle entend les poutres s'écrouler et qu'elle voit les lettres du fronton tomber dans la fournaise, elle est comme une fiancée qui s'est choisi un dieu et qui s'y abandonne,

rien ne peut l'arrêter, le plaisir est trop fort, rien ne l'arrêtera, elle est bien trop petite, elle ira jusqu'au bout, elle n'a pas connu d'homme, elle ignore sans doute jusqu'au nom du plaisir, c'est cela l'indicible, ce qu'elle n'accepte pas, c'est le ça du plaisir qu'elle ne peut pardonner aux autres de connaître, à Vienna par exemple, parce qu'elle lui vole tout, il n'y en a que pour elle, Emma n'est qu'une teigneuse,

Le commentaire de sitaudis.fr éditions du Rocher, 2008
85 p.
13 €
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