L'empreinte ironique de Pierre Tréfois par François Huglo

Les Parutions

29 mai
2015

L'empreinte ironique de Pierre Tréfois par François Huglo

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            Pour faire le portrait d’un Tréfois, il y aurait ces lignes qui suivent la liste des ouvrages « du même auteur » : « A coordonné des ouvrages collectifs sur Pierre Autin-Grenier, André Beem, André Doms, Michel Pierre, Jean-Louis Rambour, l’autodérision, la métempsychose et le somnambulisme ». Un peu à part, certes, mais pas du genre à jouer perso.

           Il y aurait la préface de Jean-Pierre Verheggen, qui confirme : « (…) c’est un poète, fût-il carnassier et fragile à la fois mais les deux sont liés, n’est-ce pas ? En tout cas, le contraire absolu de trop de ses nombreux collègues qui s’admirent dans leur "rimoir" (belle trouvaille) ».

          Rimoir ou miroir, Pierre Tréfois s’en méfie. Voit-il double ? « Je suis schizophrène, mais nous nous soignons ». Lequel des deux voit trouble ? « Chaque matin, mon miroir me reflète trouble. Sa vue baisse ». Comment comprendre : « Le narcissisme est au miroir ce que le marxisme est à l’espoir » ? Tentative désespérée, et condamnée, de le franchir et de s’atteindre en quelque —hegelienne, trop hegelienne— « fin de l’histoire » ?  Tréfois écrit pourtant : « Marx, Bloch, Montaigne, Bach m’aiguillent au quotidien de l’autre côté du désespoir ». Disparité des potes, mais impossibilité de toute identification : « Narcisse et ses fins de moi difficiles ». Aucune prise laissée à l’esprit de système. De l’autre côté du miroir, il y a du monde. Tréfois pourrait se reconnaître dans « le trio à clavier n°2 de Schubert. Quelque chose comme l’hymne universel de l’utopie, de la candeur et de la délicatesse ». Ce n’est pas lui qui écrirait Précis de décomposition ou De l’inconvénient d’être né. Il imaginerait plutôt « Cioran bien portant et dans les bras de Naomi Campbell ». D’où la conclusion de la préface de Verheggen : « De quoi nous rappeler que "s’il faut regarder la vie en farce" comme l’écrivait le grand Louis Scutenaire, notre maître à tous, encore faut-il se la farcir, pas vrai ? ».

          Tréfois franchit, en effet, son miroir, pour sympathiser avec tout être vivant. Ou presque. « Les tintinophiles ne font pas nécessairement bon ménage avec les milouphiles, ces derniers ayant une fâcheuse tendance à aboyer à la moindre contrariété et à chier au moindre trottoir ». Avec la perspicacité scientifique d’un Alphonse Allais, il observe qu’ « en se déplaçant par bonds, les kangourous aplatissent l’Australie », et que « les girafes savent faire beaucoup de choses —sauf le poirier ». Politiquement, il reprend le slogan incarné par l’ornithorynque : « Ensemble, même si on est différents ! ». Et philosophiquement, celui de l’écureuil : « Au sommet, toujours des points d’interrogation ». Mais son éthique, son esthétique, le rapprochent de l’insecte : « Adepte de l’éphémère, ébloui du minuscule : épicu-petits riens ». Oui, « une vie d’insecte, sans la séduction des coccinelles ni l’entêtement des moustiques. Juste la monochromie des cloportes et la monotonie des termites ». Et une simplicité volontaire, « des dégoûts de luxe ». À l’écart d’un marché où « les zèbres sont désormais rayés de codes-barres ». En attendant la métempsychose qui l’orienterait vers la musaraigne, celle-ci copulant « jusqu’à 264 fois par jour, en période faste ». Il est aussi tenté par les sirènes « quand elles enlèvent le bas ».

          De l’autre côté du miroir, la métamorphose ? « Avide : l’art d’aimer ». Le pays des merveilles ? Pierre Tréfois cite Robert Musil : « Le battement de sang passa d’une main dans l’autre. Un profond fossé d’origine surnaturelle parut les enfermer dans un pays magique ». Mais il ajoute : « Combien de fois par vie, un si sublime avènement de l’amour ? ». Consolation : le « gynécée onomastique » où il retrouve Laure de Noves (XIVème siècle) et autres beautés fleurissant de leur nom.

          Celui qui se reconnaît en tout être vivant peut difficilement se considérer comme leur aboutissement : « Si je pars du Big Bang et que j’aboutis à moi-même, je n’explique pas la théorie de l’évolution mais celle des erreurs d’aiguillage ». Il se situerait plutôt hors-champ : « Je suis aussi seul que les autres, moins moi ».

          Ni homme du pouvoir et de la propriété (c’est la même chose, Rousseau le disait déjà), ni homme du troupeau, il écrit : « Seul contre tous ? Non : seul malgré tous ».  D’où : « L’esprit est de droite, l’humour noir de gauche. La déréliction, de tous les bords et l’ironie cerise sur l’arbre aux pendus » ? D’où le titre.

 

 

 

 

 

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