La Voix sombre de Ryoko Sekiguchi par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Parutions

13 déc.
2015

La Voix sombre de Ryoko Sekiguchi par Jean-Paul Gavard-Perret

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    Avec « Voix sombre » Ryoko Sekuguchi poursuit une quête qui - avec le temps et d’un livre à l’autre - prend de plus en plus de profondeur. Il s’agit de comprendre par l’écriture comment paradoxalement s’en dégager - du moins dans sa forme la plus esthétisante. La créatrice cherche une forme oblique afin de retrouver une écriture autre qui comme chez Blanchot propose une fin paradoxale. Elle devient une provision en faisant de la  disparition un état aussi irrécusable que néanmoins provisoire.
La fragmentation marque une cohérence d’autant plus ferme qu’elle doit se défaire pour s’atteindre. Non par un système dispersé ou une dispersion comme système mais par  la mise en pièces du déchirement : celui que crée la perte, la disparition afin d’appeler une présence d’avenir à ce qui a été arraché. Par le fragment, l’espace d’une temporalisation tente de casser les perspectives habituelles proposées à travers le fléchage chronologique. De son caractère irrémédiable surgit un capital sinon d’espoir du moins celui d’une dissolution partielle de la fatalité humaine.
En ce but tout effet de style est récusé. La formalisation marquée reviendrait à formuler la signature définitive de l’absence que Ryoko Sekiguchi refuse. Le futur s’inscrit par le passé qui le nourrit  au sein même du présent douloureux. Cela implique une mise à distance du psychologisme  au profit d’une  adéquation à la condition humaine (ce qui n’est pas la même chose).
La voix « sombre » qui s’est tue se moire de « nuances » sans lesquelles elle perdrait son impacte. Ryoko Sekiguchi refuse néanmoins la coagulation d’un sens absolu, réductible à la raison pure : tous ceux (et celles) qui meurent ne  le sont pas forcément pour l’esprit. Le fragment est là pour dégager un « nécessaire impossible » que soulignait «l’écriture du désastre » de Blanchot . Preuve que l’exigence fragmentaire n’a rien de fluctuant : elle ouvre à un système d’échos  polysémiques entre les voix qui se sont tues et  celles qui restent.
Ryoko Sekiguchi le pousse ensuite dans son livre vers d’autres sensations (olfactives, visuelles)  pour exposer comment l’écriture est un moyen de faire survivre non soi-même mais l’autre afin de  le confier à un « autre autre » : le lecteur. Il prend en charge la voix perdue. Preuve que l’écriture du désastre de la mort n’a pas pour but la finitude mais le  moyen d’un tenir ensemble : il peut se passer du religieux.

 

 

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