Le Narré des îles Schwitters de Patrick Beurard-Valdoye, extrait

Les Parutions

08 nov.
2007

Le Narré des îles Schwitters de Patrick Beurard-Valdoye, extrait

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"Ni fiction ni récit ni essai biographique, le narré est un dispositif susceptible d'arracher l'écriture au référent d'archives ou d'enquête, les fondements de l'ouvrage, pour lui conférer l'autonomie et la verticalité des arts poétiques : en prose, en prose cadencée, en versets, en vers, jusqu'au poème visuel et aux "récitclages".
C'est ainsi, on ne peut plus clairement et sur la 4° de couverture, que Beurard-Valdoye présente son art du Narré.
Il faut ajouter qu'il nous offre là un livre majeur, d'une très grande beauté et qu'il maîtrise une puissance d'évocation sans équivalent aujourd'hui.
Kurt Schwitters y devient le Héros persécuté mais non magnifié du seul récit épique possible, celui que l'auteur arrache aux failles de l'histoire.
Nous remercions l'auteur et l'éditeur de nous permettre de publier l'extrait ci-dessous.





quant au portrait d'une dame davantage de risques toujours des
difficultés des imprévus Schwitters plus à l'aise avec les
hommes des ils sinon l'île sur Hjert¯ya l'alchimie aurait dû
prendre le secret d'une île c'est le secret de l'espace mêlé à
celui des femmes Schwitters n'a jamais pu peindre qu'Helma
elle le comprend elle le pressent Assieds-toi là au bord
de la fenêtre incline la tête vers le dehors légèrement
haut de chambranle vert amande dominé de rose bas de
chambranle jaune de naple traînée rose derrière la chevelure
dans l'entre-deux un tournesol soleil d'Helma - l'île
est un soeil que l'espace inattentif écrase en absence
d'Helma - tache vanille dans le creux du menton et pointe
de vert dans l'iris encore au coin de l'œil Schwitters en
blouse blanche si proxime la présence d'Helma imprimée
sur contreplaqué au rythme de l'averse mordant sans
désemparer le bois de la maison Hoel isolant la chambre la
séance de peinture isolant l'île reliée au continent par un
mystérieux cordon ombilical que la tempête tente de rompre
comme si le combat vivant entre terre et mer se ravivait
rappelant les origines que se prépare-t-il pendant notre
sommeil quelles eaux démentielles s'annoncent ?
se pourrait-il que Schwitters peigne l'ultime portrait d'Helma ?
tant qu'il œuvre rien d'autre ne surviendra le peintre-princier
ne réside pas sur une île déserte il n'a planté aucun
drapeau dès accostage l'île qui est manque n'est jamais
oubli Hjert¯ya est habitée de mémoires d'hommes - même
de l'auguste et altier W. aujuste descendu de son yacht -
chaque île traversée d'un langage prétendu dissonant sur le
continent à l'image de ses narrés grotesques l'île fréquentée
par un créateur l'île est le créateur Schwitters sans traquer le
mythe de l'origine poursuit une neuvoie à l'abri des
tempêtes du monde sa prescience lui indique qu'il portraiture
Helma pour la dernière fois une tension silencieuse les unit
autant qu'elle s'acharne à les éloigner un silence du même
ordre que le mutisme de la nuit dissimulant un secret toute île
est mystère épié espionné par d'étranges vaisseaux d'invisibles
sous-marins sur quoi il vaut mieux fermer les yeux

le tablier d'Helma par-dessus le damier du chemisier mains jointes
posées sur les genoux que fixe-t-elle absente regarde-t-elle
la cahute ? rien n'est plus proche que le monde intérieur
noué débordant d'indicible à l'orée de la mélancolie Helma
miroir du dedans tout le reste hormis la cahute empli du
mutisme cette colère du hors d'eux assourdie par
la pluie le soleil est bien de leur côté l'île-du-cœur demeure un soleil
tant qu'Helma reste ici rien n'arrivera tant qu'il peint son aura
au bord de la fenêtre tant que le cœur tient d'ailleurs
bon signe le chat est encore monté sur ses genoux ce matin
à cette même place quand on songe que l'auguste et
dégénéré W s'est assis là et qu'à présent c'est le peintre-princier
qu'on traite de dégénéré là-bas Schwitters trempe le pinceau dans
un peu de rouge pour signer en bas à droite KS 39

bon bain bon repas à l'hôtel Alexandra le dimanche le tout
troqué en tableaux mais d'abord la correspondance en attente
les bavardages avec Rasmussen bons contacts avec
touristes copie de poèmes sur papier à entête et le soir
rendant visite à ses amis Schwitters s'y rase et mange les
harengs marinés au vinaigre de madame Falkenthal dont il
raffole le voilà hors de lui affolé rumeurs : serait un espion
allemand Falkenthal l'a entendu dire [Schwitters] Tu me crois
espion ? [madame Falkenthal] Si tu l'étais ça ne se verrait
pas sur ton visage c'est vrai un espion ne ressemble
jamais à un espion mais s'il s'agit de Schwitters ne pas se
faire de bile plutôt voir avec le chef de la police comment
couper court à ce bruit
la police l'avait déjà soupçonné mais Falkenthal Hoel H¯yer-Finn
et d'autres avaient témoigné - une expérience
enrichissante - Nous jouons nous jouons le gros lot est un
élégant lion ou une convocation au poste Nous jouons
jusqu'à ce que la mort nous emporte
Le commentaire de sitaudis.fr éd Al Dante -transbordeurs (2007)
318 p.
25 €
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