Machine-Manifeste de Jacques Sivan.

Les Parutions

15 nov.
2003

Machine-Manifeste de Jacques Sivan.

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Voilà un livre de bon lecteur qui offre non sans générosité une série de notes très écrites, commentant ou citant Guyotat et Cadiot, Denis Roche, Valère Novarina, Ponge, Joyce et Pound, Gadda, Artaud et Duchamp etc. Cependant Jacques Sivan, qui ne déroge en rien au goût dominant chez les taste-makers et dont la bibliothèque ressemble à toutes les bibliothèques des adhérents du cipM, se dérobe au moment le plus crucial et jubilatoire, lorsque Olson pourrait le conduire sur des chemins moins balisés :
(On aimerait) Développer un peu plus les raisons pour lesquelles le modèle mis au point par des écrivains tels que Melville, Rimbaud, Olson, Ponge, et bien d'autres encore, se révèle être plus « payant » que celui fondé sur la coupure, le manque, le ratage, que tente de proposer Christian Prigent.
Qu'est-ce qui peut bien freiner de tels développements? Pourquoi Jacques Sivan s'interdit-il tant de faire ce qu'il aimerait? Pourquoi tant de privations? Ces mystères ne seront pas élucidés de même que celui du modèle en question, dessiné contre celui bien mieux repéré, que tente (c'est nous qui avons la cruauté de souligner) de proposer Christian Prigent mais néanmoins si vaseux-évasé qu'on ne peut le cerner ; quant au choix de l'expression plus « payant », il n'est pas interdit d'y voir comme l'émergence de cette arrière-scène, de cet envers du décor que nous livre l'écriture en voulant donner l'endroit ! En tout cas, la trivialité de l'expression étonne chez un lettré qui commente avec des subtilités de théologue byzantin le fameux texte de Kleist sur les marionnettes, alambiquant si bien l'alambiqué qu'il en vient à écrire :
Ce qui caractérise la pêche à la ligne, c'est d'arriver à faire en sorte que le poisson morde. Cette stratégie implique d'exclure, paradoxalement mais impérativement, toute volonté de prendre l'animal.
La question de l'appât et du gain est sans doute au cœur du refoulé sivianesque, elle concentre tout l'impensé de sa méditation ontologique.
Les choses deviennent en revanche bien moins floues dans le texte consacré à Ponge. Ayant décrété, au vu de l'indéniable affluence de travaux sur cette "écriture", une sorte de trêve générale, notre courageux auteur choisit d'évoquer le rapport privé qu'il entretient avec elle ; on assiste alors à un impayable mano a mano Jacques Sivan/Francis Ponge qui se termine p 92 par :
Ponge s'est appliqué à fabriquer une « bombe »... je m'applique à faire exploser des bulles.
Tous deux se sont donc appliqués et, peut-être parce qu'il continue à être le plus appliqué des deux et qu'il est plus correct politiquement que son défunt aîné, Sivan sort largement vainqueur d'une confontation dont on n'avait pas idée au début du chapitre intitulé "De la préparation de "bombes" à l'explosion de bulles" et qu'on rebaptise à la fin en toute limpidité : "De Jacques Sivan à Francis Ponge".
Les affirmations contenues dans ce livre n'ont pas toutes il s'en faut, la divine légéreté des bulles (cf. au contraire, p. 112 à 114 le nombre de fois où l'on peut lire "c'est" ou "ce sont" après la formule "lire Rimbaud c'est..."!) ; il n'empêche que le jacuzzi de Jacques Sivan offre pour un prix modique toutes sortes de sensations assez peu courantes.
Le commentaire de sitaudis.fr …ditions Léo Scheer
215 p.
17 €
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