Matamore n° 29 d'Alain Farah par Nathalie Quintane

Les Parutions

04 nov.
2008

Matamore n° 29 d'Alain Farah par Nathalie Quintane

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C'est un livre bleu, un gros petit livre bleu planté en terre littéraire, mais qui ne s'origine dans aucun périmètre particulier - ni le périmètre poétique *(trop extensif, trop distendu, trop volontairement faussement bavard), ni le champ romanesque (trop réflexif, trop délinéarisé, trop rivé à l'inspection des questions sans pourquoi, la question littéraire, la question de la vie et celle de la mort).

De cela (de n'être ni poète, ni romancier, ni narrateur, ni personnage, et au final de n'être pas même quelqu'un), le matamore du titre tire avec raison quelque fierté (" C'est mon tempérament, c'est mon humeur, c'est mon plaisir, c'est mon goût, c'est mon caprice, c'est ma préférence, c'est ma liberté assumée (...) C'est mon mazag.", comme disent ses ancêtres égyptiens.) et même une jouissance certaine (" oh oui oh oui c'est bon oh oui c'est bon j'aime ça "). Cela produit, en tout cas, un texte kaléidoscopique et joyeusement vengeur, invraisemblable (l'invention du patatophore, l'arme qui tua Kennedy et s'apprête à liquider, à la fin du livre, le Potentat Buisson) et parfaitement réaliste, puisqu'il ne cesse de pointer ses propres mécanismes ("Vous ferez fortune dans la glose.").

Matamore n°29 évoque parfois les mauvais traitements infligés au roman "moderne" par Gombrowicz (" Je crache dans la soupe, concasse le pain, rajoute du citron" rappelle une scène fameuse de Ferdydurke), mais le gombrowiczshow est peu à peu éclipsé par les soleils de questions bien plus sombres (filiation et génération, mort et maladie). Leur fouille systématique construit une sorte d' archéologie, expérience des choses anciennes reconstituée par une littérature toujours trop dépassée par les événements pour pouvoir se constituer en science et assez sage et triste ici pour le reconnaître.

Drôle au départ, Matamore devient de plus en plus poignant - et cela ne tient pas qu'aux pages consacrées à Thomas Braichet, l'ami mort à trente ans, même si là cristallise à l'évidence ce qui a donné la dernière impulsion au livre. C'est que le "narrateur" a lui-même affaire avec ce qu'il nomme LE-SOMBRE

" Peu importe où je vais, je le transporte avec moi."





* D'une part, je ne pense pas que l'étiquette "roman poétique" soit si pertinente que cela en l'occurrence (à tout prendre, "picaresque" ferait aussi bien l'affaire); d'autre part, amis, nous ne devrions jamais oublier qu'en l'occurrence l'étiquette "roman poétique" est un engin de mort. Nous voyons bien ce que nous plaçons, nous, le nous des nous, chevaliers de la table ronde, en l'adjectif poétique; les lecteurs autres que ce nous du nous y placent sophistiqué et/ou effusif - sophistiqué comme Eric Laurrent, effusif comme Lorette Nobécourt, par exemple. Ne dîtes pas à un libraire (et surtout s'il est compétent) que le livre de Farah est "poétique", il pensera que vous vous foutez de lui. Sur le suicide symbolique qu'entraîne rapidement le choix de l'étiquette "roman poétique" (ou "roman expérimental", d'ailleurs), sur l'appui qu'involontairement elle donne aux tenants du roman majoritaire régressif (c'est pas pour nous, c'est pour les spécialistes, revenons à nos moutons), et sur bien d'autres choses passionnantes encore, lire l'indispensable biographie d'Hélène Bessette (Léo Scheer, à partir du 4 novembre).
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