Personne n'est à l'intérieur de rien (Novarina-Dubuffet) par Jean-Paul Gavard-Perret

Les Parutions

09 avril
2014

Personne n'est à l'intérieur de rien (Novarina-Dubuffet) par Jean-Paul Gavard-Perret

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Valère Novarina  /Jean Dubuffet : une étrange odeur de sainteté.

 

 

La correspondance de Dubuffet et Novarina est intéressante à plusieurs chefs. Novarina n’est pas un écrivain qui se fend habituellement de missives. Et écrivant au « maître » il reconnaît (dans une interview intégrée au livre) pratiquer une stratégie. Fort en ego, cherchant à séduire mais tout autant à être différent, écrire à Dubuffet fut - en un moment où le dramaturge, poète et peintre était encore peu connu - un moyen d’entrer en relation avec un artiste qui pour l’auteur était un modèle au même titre - mais sur un autre plan - que Beckett.  Pour les deux épistoliers le lien véritable est donc moins l’amitié qu’un dénominateur esthétique commun : toute activité artistique revient pour ceux qui s’y emploient à tenter de sur-vivre. Mais afin d’y parvenir il faut oser des hors chemin qui transparaissent parfois dans cette correspondance à la prose singulière et traversée de poésie comme de théorie.

 Novarina va apprendre au fil de cet échange combien l’erreur de certains artistes ou écrivains est souvent de se prendre pour des métaphysiciens. Dubuffet lui fait comprendre que si l'art et la littérature se veulent des sciences qui cherchent leurs preuves non en leur dedans mais au dehors leurs auteurs les transforment  en “ vues de l’esprit ”.  Cela ne sera pas sans incidence sur l’évolution de Novarina. Profondément mystique, il va « plomber » à bon escient ses postulations métaphysiques dans la matière des mots dégagés en les retirant de toute théorie glacée pour les plonger dans les torrents et les breuvages des pays de Savoie. Comme pour Dubuffet la langue du dramaturge va se peupler de monstres germinateurs et exterminateurs. Dès la correspondance les deux créateurs des dimensions iconoclastes surgissent, les habits d’apparat s'ouvrent, s'abandonnent, laissent voir ce qui fait résistance et qui jaillit loin de la  pompe et  de l’emphase.

 A « l’ombre » de Dubuffet Novarina ne sera donc pas un métaphysicien raté mais un véritable  poète à l’écriture débarrassée d'enluminures, de rosaires au profit de mises sous tension intempestives. Il va devenir capable de concentrer charge et décharge, couverture et découverte, objet de fétichisme et nomenclature perverse.  Un tel échange montre la mise en coupe sombre de la maladie de  l’idéalité. Causes et effets, essences et apparences sont renversés. Et si pour les deux créateurs il ne s’agit pas de renier leur propre absolu, celui-ci va devenir la recherche de voies (et de voix dans le cas de Novarina) insolites.

 Renonçant à un art spectral ils instaurent un art-spectacle revendiqué comme tel mais qui déchire les convenances par le traitement du langage. Sous leurs carapaces tranquilles Dubuffet et Novarina viennent exciter les nerfs et les sens qu’ils contribuent à mettre sous tension. Ne renonçant jamais à la puissance du cérémonial l’artiste reconnu apprend à son cadet à se plonger dans un état critique tout en le laissant chevillé à la recherche une force du « soma » platonicien - à savoir du corps comme expérience de l’idée du corps par le sensible sexualisé et par une beauté poétique ou plastique arrachée aux normes. Novarina retiendra la leçon qui fera de lui le dramaturge francophone le plus intéressant du temps.

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