Revue Faire-Part, " Combe d'Arc / Les mains inverses " par Tristan Hordé

Les Parutions

10 mars
2014

Revue Faire-Part, " Combe d'Arc / Les mains inverses " par Tristan Hordé

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Qui veut apprendre quelque chose sur la grotte Chauvet lira l'indispensable La grotte Chauvet, L'art des origines, qui rassemble(1), sous la direction de Jean Clottes, la mise au net des premiers travaux des préhistoriens avec, en fin de volume, les réflexions sur l'histoire de l'art de Jean-Louis Schefer et le point de vue de l'anthropologue Joëlle Robert Lambin. Le lecture en est indispensable avant de prendre en main la revue Faire part, non parce qu'elle n'a pas donné une grande place aux  préhistoriens (cinq, dont l'un (Gilles Tosello) propose deux dessins très suggestifs, déjà publiés et, pour une autre (Valérie Feruglio) des photographies), mais parce qu'elle n'a pas choisi de direction. L'abondance des contributeurs — une cinquantaine de peintres, photographes, écrivains, cinéastes — aboutit à la confusion, quelques propositions solides (je vais y revenir) se mêlent à des banalités  gênantes ou, hélas ! à des affirmations telle : l'écriture « image de la parole », ou : les peintures ont été faites pour agir sur la réalité. Passons. Que reste-t-il de la grotte Chauver ?

   Qu'on les apprécie ou pas, des artistes(2) ont été inspirés par l'art pariétal et donnent à voir leur travail, dessins, encres, peintures, pierres, photographies : 100 pages leur sont réservées et plusieurs commentent de manière intéressante leur démarche. On suit avec attention la visite de la grotte par le cinéaste Pierre Oscar Lévy (qui connut l'opposition des "inventeurs" de la grotte avant de pouvoir tourner : question de gros sous) guidé par Jean Clottes. Quant au préhistorien cinéaste Marc Azéma, il répond positivement à la question de savoir si les préhistoriques  « rêvaient [...] d'animaux animés » : « Les images pariétales, les compositions ou les panneaux ne doivent pas être vus comme de simples tableaux accrochés au mur d'un musée ou d'un  lieu sacré. Ces représentations pouvaient être perçues sous différents points de vue, au gré des déplacements dans la caverne » ; l'hypothèse est importante, elle signifie qu'il y aurait eu le projet d'associer des séquences, donc de composer une narration, étant entendu que son sens « ne peut que nous échapper car il se réfère à des cultures et à des modes de pensée définitivement oubliés. »

   Plusieurs écrivains font part de la « commotion » qu'a provoquée leur visite de la grotte, plusieurs renvoient à Bataille pour évoquer le caractère transgressif des peintures, mais rien ne passe pour le lecteur du choc que provoquent la vue des animaux sur les parois, dans l'obscurité et le silence de la grotte. À la question « Qu'écrire de ce qui nous a laissés sans voix ? », Patrick Beurard-Valdoye répond nettement : « Un poème, comme Jonas. Comme La route des Flandres, ou L'innommable, ou Éden, éden, éden, qui sont aussi de longs poèmes. Comme La face nord de Juliau, dont le livre 3 [...] consacre des pages à Chauvet, sans toutefois que Nicolas Pesquès y eût accès. Comme Masse et puissance en définitive long poème [...]». En attendant, un ensemble de textes à propos de Chauvet (ou de Lascaux) qui ne soient pas d'experts, c'est-à-dire de préhistoriens, avec toutes les spécialités que le terme recouvre aujourd'hui, ne peut être la juxtaposition de "points de vue" plus ou moins bien informés.

   Je n'ai pas boudé mon plaisir à lire, par exemple, la brève fiction d'Emmanuelle Pagano sur cet « or du temps » qu'est la grotte, ou la traduction par Auxeméry de deux poèmes de Clayton Eshleman, ou l'interprétation de Nicolas Pesquès pour qui les images de la grotte « ne parlent que de la vie sur terre, avec les bêtes et avec l'art » et pour qui « il n'y a pas le moindre dieu dans ces peintures » — et d'autres contributions retiennent. Mais l'insatisfaction demeure, on a trop le sentiment de se trouver devant un fouillis. Et fallait-il reprendre des textes déjà publiés (Jacques Dupin, John Berger, Jacques Demarcq), quel que soit leur intérêt ? Fallait-il autant de proses et de poèmes dont la relation à Chauvet reste énigmatique, quel que soit leur intérêt par ailleurs  ? Fallait-il que les spéléologues "inventeurs" de la grotte résument en deux pages leur découverte, assortie de remarques sidérantes comme : « La rencontre avec nos ancêtres, à plus ou moins long terme, était inévitable » ? Fallait-il qu'un dossier sur Chauvet soit introduit de manière si affligeante par un Marcelin Pleynet qui s'essaie à une description poussive de la grotte, piochant dans les travaux des préhistoriens, attribuant les peintures aux Néandertaliens ? Laisser une préface comme occasion de se désoler que Freud n'ait pas sa place dans l'étude de Chauvet, de citer Julia Kristeva et Sollers, de renvoyer abondamment à ses propres textes (avec éditeur et date !) ?. Et, cerise sur le gâteau, fallait-il publier une introduction qui démolit (parmi d'autres) le peintre Miquel Barceló dont les aquarelles et fusains sont très présents dans le volume (16 pages) ?

 

 

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1 On peut compléter avec Recherches pluridisciplinaires de la grotte Chauvet sous la dir. J.-M. Geneste (2005) et les précieux Cahiers de la grotte Chauvet.

2. Par ordre d'apparition : Claude Viallat, Miquel Barceló, Marie José Armando, Gérald Thupinier, Ianna Andreadis, Mireille Cluzet, Armand Scholtès, Serge Plagnol, Germain Roesz, Gérard Titus-Carmel, BernadetteTintaud, Christian Sorg, Christian Jaccard, Vincent

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