Ricordeau, Rémy, Arthur Cravan, La terreur des fauves. par Michaël Moretti

Les Parutions

22 janv.
2022

Ricordeau, Rémy, Arthur Cravan, La terreur des fauves. par Michaël Moretti

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Ricordeau, Rémy, Arthur Cravan, La terreur des fauves.

 

Ring Arthur

 

 

Jeanneney nous abreuva des lettres de Tonton à Anne, cette conservatrice de musée qui fut protégée aux frais du contribuable. Comme la postfacière, l’excellente Annie Le Brun, je suis peu amateur de correspondance amoureuse.  Elle retiendra toutefois, concernant Cravan, un « sauvage amour courtois ». Tout dépend si vous êtes plutôt Sainte-Beuve ou côté Proust. « Mes lettres sont idiotes […] je ne suis pas un littérateur ! » (p. 136) : c’est gênant ! Connaître la vie amoureuse de l’étoile filante Cravan - un poète au nom de cigarette ne peut être mauvais -, plus wild que Wilde, apporte peu, sauf la sensation de la fuite commune des faux-semblants de Lloyd avec Loy, d’une dépendance affective pour un boxeur loin du niveau d’un Carpentier, un nouvel éclairage comme la « désertion éperdue » (G. Debord) de l’insurgé désespéré. Rendre la « bête », humaine.

 

Outre ses Notes contenant quelques fulgurances, avec une préface de Breton au « prosopoème » (1917-18), Cravan envoie en même temps des lettres tant à la distante Sophie Treadwell qu’à la passionnée Mina Loy, cette « pénétrable » qui fut magnifiée ailleurs par Liliane Giraudon. Peut-être une clé au détour d’une lettre : « au fond j’ai une mentalité tragique. » (lettre à Treadwell, 07/06/17, p. 116), « Je suis l’homme des extrêmes et du suicide. » (lettre à Loy, 17/12/17, p. 147). Des notices biographiques informent sur celles-ci, anciennes amantes de Duchamp, ainsi que sur la française Renée Bouchet, son principal soutien – peu connu. Les points communs : l’autonomie, la maturité. Le pugilistique ou « disruptif » est soumis au feu de l’ « insurrection permanente du désir » (p. 19).

 

Le titre du livre provient d’un article, « La terreur des fauves », de Jean Malherbe, dans une revue de presse resituant le poète dans son contexte. C’est en fait une expression humoristique puisque Cravan était l’ami des fauvistes van Dongen et Vlaminck. Outre les facéties connues et réjouissantes, Cravan épingle les précieuses ridicules qui fréquentent cette belle plume de Bergson – néanmoins, selon moi, un vitaliste qui peut être dangereux au spiritualisme vaseux, à côté de la plaque sur le plan scientifique comme le souligna Gaston Bachelard. Une note permet de préciser pourquoi Cravan se réfère au « juif Apollinaire » : le boxeur tournait en dérision le fait que l’apatride soulignait systématiquement la confession ou l’origine juive des artistes dont il faisait la critique artistique (p. 40). La belle typographie des textes laisse songer à l’excellente édition grenobloise Cent pages - qui publia, grâce à Lacarelle, les lettres à Treadwell (Adieu, je pars à la gare, 2016) - tout comme les photographies pixellisées ; quelques scans de bonne qualité illustrent le texte. Les notes sont souvent nourries. Ainsi dans la présentation, Cravan est associé par un critique à la théorie scientifique du pluralisme de Boex-Borel (1909) en opposition au monisme (p. 18). Enfin, le livre contente le président de l’Association du Sept avec Barre, devenu bien rare.

 

Ricordeau mène un travail au cordeau. À regretter toutefois l’absence dans la bibliographie de l’article d’A. Bosc sur Cravan dans le numéro 1 de janvier 2013 de Desports.

 

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