Sarrazine n°15 par François Huglo

Les Parutions

18 janv.
2016

Sarrazine n°15 par François Huglo

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      Animée par Paul de Brancion, Pierre Drogi, Armelle Leclercq, Angèle Paoli, Marie de Quatrebarbes, C.F. Tourné, la  revue nantaise de l’Association pour l’Incitation à la Création Littéraire et Artistique invite des auteurs à « produire quelque chose autour d’un mot ». Après les numéros Écartelé, Maisons, Silence, Malin, Cercle, Rien, Capital, Sens, Ours, Nuit, Peur, Demain, Papier, et Hors, celui-ci a pour thème « Une fois ». Il privilégie « l’instantané unique » de la danse et de la « conversation filée d’une traite », avec sa « fluidité », ses « heurts » : celle de Pierre Drogi avec Olivier Apert, concepteur et réalisateur avec Sylvain Groud d’une « déambulation dansée-parlée », et celle de Paul de Brancion avec Florence Trocmé à propos de Poézibao. Instantané durable, unicité reproductible grâce à la photographie et au texte imprimé qui laissent tout le temps nécessaire à l' « exercice d’amitié » qu’est la lecture, autre type d’entretien.

      « Je n’aime pas me définir, sauf peut-être comme lectrice », dit Florence Trocmé, « lectrice passionnée » dès l’enfance. Longtemps journaliste, elle a décidé de diffuser la poésie contemporaine parce qu’elle ne la connaissait pas, et constatait son absence dans les médias où elle la cherchait. Elle ne partageait pas un savoir, mais une découverte. Depuis, elle déplore encore « la diminution de la présence médiatique de la poésie », mais pour ajouter que « les sites ont largement pris le relai des autres médias » et qu’elle ne voit « pas bien pourquoi ce serait à regretter ». Le support électronique lui permettait de « jouer sur tous les aspects du périodique » : actualités comme dans un quotidien, articles de fond comme dans un magazine. Recevant une dizaine de livres par semaine, elle les feuillette tous et cherche la singularité tout en s’inquiétant de ses choix qui sont autant de jugements. Elle se sent moins à l’aise dans les notes de lecture, qu’elle confie à une équipe de fidèles contributeurs, que dans le Journal de lecture, accessible sur son site personnel Le Flotoir. Elle peut « soutenir et aimer des choses que certains jugent incompatibles », et à l’intérieur d’un courant s’attacher « à une œuvre et pas du tout à une autre », ne dissimule pas « un très fort attrait pour la culture, la musique et la littérature allemandes ». Ses rapports avec les autres sites ne sont pas professionnels, mais d’ « estime pour leur travail » et parfois d’amitié, avec ce « constat qu’à nous tous, nous couvrons sans doute des champs différents de l’univers de l’écriture contemporaine ». À la métaphore de la couverture (médiatique), elle préfère cependant celle du sismographe : à l’écoute d’une poésie elle-même à l’écoute du monde, et apte à former l’oreille : « elle rend très sensible à la langue en général, celle des livres bien sûr, mais aussi celle que tous utilisent ».

      Olivier Apert, lui, se défie des mots « poète » et « poésie », ontologiquement surestimés (« mysticisme dérisoire », « doxa académique crypto-heideggerienne ») et « socialement dévalorisés ». À la « décadence moderne (ou post-moderne) », il oppose « l’éthique dandie » et ce que Pierre Drogi appelle « une sorte de jansénisme désabusé ou sarcastique ». Auteur du livret d’un opéra composé par Cornel Taranu, il est passé de la pensée musicale de l’écriture à la dramaturgie théâtrale, avec la Cie théâtrale de la Cité (Nicolas Hocquenghem, metteur en scène), en la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon en 2002, et en 2006 à un « poème parlé-dansé », Talitha Koum, dont quelques schémas et photos sont inclus dans ce numéro. Traducteur, il a publié une « anthologie de la poésie féminine américaine du XXème siècle ».

      Comme au cours d’un entretien, James Sacré répond à la question « Quel premier livre a-t-on vraiment lu ? ». Ne pouvant s’arrêter sur aucun, il répond à la question par la question, qui reste en suspens. « J’ai en somme appris à oublier », dit-il. Les premiers livres appartiennent à la « guenille dans laquelle s’empêtrent mes souvenirs, et, je le crois aussi, mon désir d’écrire ».

      On ne peut citer tous les auteurs, quelques noms donneront une idée de leur diversité : Romain Fustier, Patrick Beurard-Valdoye, Christophe Manon, Didier Bourda, Kouam Tawa, né au Cameroun où il réside, et auteur de textes qui ont été mis en scène, en espace ou en ondes, au Bénin, au Burkina Faso, au Niger, en France, au Canada et au Japon. Les « lectures critiques » ne sont pas des notules hâtives, elles prennent le temps de l’attention. Les prècède une courte étude de Marianne Simon-Oikawa , « Adam, ou l’homme des premières fois : Les mémoires d’Adam et les pages d’Ève de Pierre Albert-Birot ». Par goût du contraste, on juxtaposera : « Une fois le fruit goûté, aucun sentiment de culpabilité, aucune honte, aucun pressentiment de la fin du paradis terrestre » à ces mots d’Olivier Apert : « Rien de plus délicieux alors que le frisson esthétique du sentiment de la Faute après la dégradation ». Faut-il en finir avec le péché originel ? Qu’on frappe ou non d’obsolescence l’antique dissertation, Montaigne et Pascal, Hugo et Baudelaire, n’en finiront pas de s’affronter.

 

 



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