Si fidèles délitescences de Guy Ferdinande par François Huglo

Les Parutions

10 juil.
2016

Si fidèles délitescences de Guy Ferdinande par François Huglo

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      L’esprit Vincennes aura produit Guy Ferdinande. Il n’aura pas été le seul : citons, entre autres, l’esprit rock, l’esprit fanzine, le fantôme de Lille et celui de l’opéra, mais il aura été le catalyseur. Encore vaudrait-il mieux dire que Guy, avec Dan et avec bien des potes, a partagé, défendu et illustré, donc produit, l’esprit Vincennes, cette philosophie politique festive, cette agitation poétique, ce situationnisme esthétique (« L’esthétique au vestiaire »), saisis et emportés dans la même danse de saint Guy. Joyeux bordel ? Oui, et « bordel de merde », car si « le bordel » (écologique, alimentaire, amoureux, politique, économique, idéologique, religieux, etc.), « on est dedans jusqu’au kiki », ne désespérons pas : « ce que l’âne Ârt chie, les coprophiles, scatophages et autres mouches du coche le boufferont toujours assez tôt » (à rapprocher de l’apostrophe de Julien Blaine, dans sa Lecture de 5 faits d’actualité par un septuagénaire bien sonné, au « scarabée ô Kheper » : « Tu es le Soleil. C’est à partir de la merde des animaux que de ton front / puissant et de tes jambes multiples tu / fabriques le soleil, la merde décomposée et re / composée »).

 

      Un je parle, pas un je pour la galerie (un moi « maton » et « moiteur »), un je pour ses galeries plutôt, genre vieille taupe, un je seul, underground, arachnéen, onirique, rêvant prisons de Piranèse ou Métropolis de Fritz Lang, un je manifestant « l’étrange tranquillité de ceux dont se laisse deviner l’araignée qu’ils ont au plafond » mais qui regardent leurs pieds car ils font « commerce avec l’en-dessous ». Ce je parle comme une chronique radio. Une chronique inspirée : « La langue est déjà une habitude, le langage un tic (…) la tique c’est l’inspiration. Au bout d’un temps indéterminé te tombe dessus la prescience du filon (…) Ce qu’on appelle couramment idée et qui s’impose davantage comme trouvaille est de cet ordre ». Les plus âgés se souviennent peut-être de la Minute de Saint-Granier (« Bonsoir, mes chers auditeurs, bonsoir »), moquée à la télévision par Pierre Desproges (la Minute Nécessaire de Monsieur Cyclopède). Enterrons le souvenir de Jean Nocher parlant de Sartre : « Enterrons cette pourriture ». On rêverait plutôt d’entendre ces textes de Guy Ferdinande lus à la radio par Vladimir Jankélévitch, sur le même tempo rapide que le Grabinoulor de Pierre Albert-Birot lu par Jean-Pierre Bobillot : minute miraculeuse de jonglerie, trapèze et clownerie philosophiques, à la fois brin de causette sur le zinc (plutôt que causerie au coin du feu) et haute voltige, à fond la caisse et « au fond la forme », autant dire à fleur de peau, car il faut que le fond remonte à la surface, comme disait Hugo, « pour que la compréhension comprenne et que s’épanouisse en bouquet cette fleur dite de peau ».

 

       Ce format de chronique radio peut être aussi celui de l’éditorial, mais pas de ceux qu’on parcourt en chantonnant « J’ai de Zemmour / Mon pays équarri / Par lui toujours / Mon cœur gros devient gris ». Guy Ferdinande refuse tout « déclinisme en poésie » et ailleurs. La France qui va mal parce qu’elle « va dans le monde qui va mal » n’est pas celle qui a mal à ce « qu’il lui semble avoir toujours été et devoir toujours être la bistoquette de l’esprit, le fascinum d’une haute culture, le fiferlot du monde ». Chevauchant les frontières, Guy Ferdinande a toujours voulu « aller voir ce qui se passait derrière la ligne imagino », celle que franchit un montage, un agencement de beaux bruits. Quand oscille « le vumètre psychique des variations de positions et autres latitudes internes » et « qu’apparaît une liste de beaux bruits sur son petit écran (imagino : in imago), c’est que la ligne est franchie. Ne reste plus qu’à acquérir les bruits qui vous plaisent et à les agencer. C’est ce que firent les Beatles en 1966, et cela donna Tomorrow never knows ». Beaux bruits ou belles taches, « Victor Hugo pour mémoire ». Ou Redon. Ou belles odeurs, beaux mots.

 

      La référence aux Beatles de Revolver nous mène au collage, à commencer par celui de la pochette. Dans les collages qui accompagnent les textes de cet album-ci, qui succède au recueil de dessins (Vison du monde, édité par l’Âne qui butine) et aux planches de BD rassemblées dans Tout déglinguant, une playmate en noir et blanc de gravure ancienne ou de photo de Man Ray s’aventure parmi nos monstres : charniers et chantiers, idoles et colons, machineries, matraques et denrées. Collages intranquilles, confirmant que « j’ai plus de sang du genre humain sur la conscience que de neurones dans le cerveau », et que « notre solidarité est infinie » !

 


 

 

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