SAINT AUGUSTIN ÉTAIT-IL UN POÈTE BRUYANT? par Gilles Dumoulin

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

SAINT AUGUSTIN ÉTAIT-IL UN POÈTE BRUYANT? par Gilles Dumoulin

  • Partager sur Facebook
eum legentem (... ) tacite

(Conf. VI, 3)



Pour commencer correctement cet article, il s'agit, à n ëen pas douter & pour éviter tout contre-sens, voire...d'éventuels quiproquo, de bien délimiter le sens à attribuer aux mots, à commencer par ceux du titre même, puisqu'ils en sont la clé.

L'Augustin dont il est question ici, est bien le philosophe & homme d'Eglise qui naquit en 354 à Thagaste, en Afrique romaine, d'un père païen & d'une mère chrétienne, & mourut en 430 à Hippone, au cours du siège de la ville par les Vandales, pour être canonisé par la suite, au X ème siècle, après une vie mouvementée qui le mena du « stupre » païen à l'évêché, en passant par les chaires de rhétorique de Carthage, Rome & Milan ; le saint donc, & non un homonyme contemporain, aussi probable fût-il.

Augustin est connu en tant qu'auteur, & non comme poète : ses écrits ont fait référence & autorité en matière de pensée philosophique & d'interrogation sur la foi religieuse, - même s'il fut aussi l'auteur (car il s'agit du même mot : le responsable, celui qui a et fait « autorité », & celui qui « augmente ») d'un fils naturel nommé Adéodat, non reconnu donc par le père de l'Eglise ; mais ceci ne nous regarde pas & ne concerne que ses Confessions, ou Rousseau à la rigueur.

La première question qu'il convient de se poser, en effet, est plutôt celle de savoir s'il fut poète ou non, et en quel sens.

(Prenons un exemple : « je » suis poète, ou, pour être plus précis - & la précision a son importance ici - l'auteur de ce texte, « moi » en l'occurrence &, pour le moins, celle-même de la rédaction de ce texte que vous êtes en train de lire (& peut-être de façon bruyante), et non une autre car alors le moi ne serait plus le même, même s'il s'agit encore de « moi », peut être considéré comme poète donc, ou plutôt comme « un » poète (à défaut, car il en s'agit d'un, d'être « le » poète) pour autant que le dit texte en train de se rédiger est susceptible, à un moment ou à un autre, & dans le cours même de son élaboration, à savoir cette impression tactile sur les touches azerty de mon clavier d'ordinateur, ou mieux, celui du poète ou pas encore poète, mettons l'auteur donc, traduisant ou, pour dire juste, encodant un flux de pensées plus ou moins vagues mais longtemps réfléchies, de déraper, de glisser, ou de déborder le saint Axe, vers un autre texte, impropre, pour ne pas dire, au déplaisir du rhétoricien Augustin : un texte autre.)

Mais, en tant que poète, « je », c'est-à-dire l'auteur, ou, pour faire vite, ce processus de devenir poète, mettons UN poète, pour être plus juste, dans le moment même où l'auteur de ces lignes l'énonce, « je », donc, n'en suis pas forcément « bruyant ».

En effet, si « je », pour faire simple, suis l'auteur de ce texte, sujet potentiel d'une impromptue embardée, celui-ci n'est pas écrit pour être lu, à voix haute & bruyante S'ENTEND ; l'auteur, d'ailleurs, - et ici, en tout état de cause, fût-elle efficiente, matérielle, formelle ou finale, « moi » - n'a pas pour habitude, disons pour pratique, de lire ouvertement ses productions devant un public, ou serait-ce même de vive voix, tout seul, à la maison ou sur le bord de l'autoroute, à la plage comme au supermarché, (etc. (Augustin, & sans doute poète, honnit les énumérations)).

On peut donc affirmer qu'il est possible d'être poète sans en être, pour autant, bruyant ; comme on peut être bruyant sans en être poète (Voir la suite).

Mais revenons au problème initial : « peut-on considérer en Saint Augustin un poète, voire un poète bruyant ? », et convenons, une fois pour toutes du sens exact à donner au mot « bruyant » en interrogeant Littré, qui connaissait bien Saint Augustin, même si la réciproque de cette proposition ne sera pas même évoquée dans cette étude, à cause de son absurdité.

Le célèbre philologue recense plusieurs sens : 1°) « qui fait du bruit », exemple : « Agrippine jouit de leur bruyant hommage » (Chénier) ; 2°) appliqué à un lieu : « Où il se fait du bruit », exemple : « Sur les pavés poudreux d'un bruyant carrefour » (Chénier) ; 3°) appliqué à un homme : « qui parle beaucoup ou qui parle d'une voix retentissante ».

Examinons la question de plus près : le poète Augustin fut-il susceptible de faire du bruit, au sens 1 ? Compte tenu de la relation de ses turpitudes dans les premiers livres des Confessions, il n'est pas à douter qu'Augustin fut bruyant en ce sens, & tout autant que les courtisans d'Agrippine, ne serait-ce qu'en mangeant ou en brayant pour réclamer le lait maternel (Cf. Conf. I, 7.) ; tout poète, d'ailleurs, pour autant qu'il n'est pas hypostasié, ou pas encore, est, en toute probabilité, bruyant de matière, comme tout être vivant. Et ce n'est pas ainsi qu'il conviendra d'entendre l'épithète BRUYANT assignée au poète Augustin.

L'auteur, en effet, (il s'agit ici du poète en devenir, du poète latent, & non plus lactescent, des Confessions, et non de « moi », ENTENDONS-nous bien) vécut assez longtemps à Milan, qui est une ville, &, en tant que telle, assez bruyante (au sens 2 , donc, qui pourrait fonctionner comme métonymie du grouillement extérieur pour le grondement intérieur), où il rencontra Ambroise, évêque de sa fonction, & strictement orthodoxe, qui fut canonisé par la suite, comme le poète Augustin.

(Ici, le poète, « je », tant qu'à faire, me lève & donne quelques explications concernant ledit Ambroise : « Ambroise était un évêque « bruyant », au sens 3, n'hésitant pas à manifester pour la cause (fût-elle efficiente, matérielle, formelle ou finale) de son culte, notamment par l'occupation du parvis d'une Eglise devant accueillir les rites de l'arianisme - mais gardons-nous de tout anachronisme dans cette lecture - dont la rencontre fut primordiale pour la conversion du poète Augustin, longtemps manichéen », puis retourne à son lutrin.)

Or, Augustin le poète, cette fois-ci, dans le Livre VI, chapitre 3 de ses Confessions, relate au sujet d'Ambroise : « Quand il lisait, ses yeux couraient les pages dont son esprit perçait le sens; sa voix et sa langue se reposaient. Souvent en franchissant le seuil de sa porte, dont l'accès n'était jamais défendu, où l'on entrait sans être annoncé, je le trouvais lisant tout bas et jamais autrement.»(Trad. M. Moreau, 1864.)

_Sed cum legebat, oculi ducebantur per paginas et cor intellectum rimabatur, vox autem et lingua quiescebant.

Ainsi, Ambroise, reconnu comme évêque bruyant, restait un poète silencieux, pour autant que nous comprissions par Poète tout auteur ou lecteur dans tous les sens & particulièrement de travers : écrivant/lisant de guingois, à côté, ou d'un œil torve - de para/péri-phrase.

Augustin, quant à lui, s'il prend la peine de préciser que son ami lisait sans faire de bruit, devait sans aucun doute déchiffrer les lettres & lignes continues de mots constituant ses manuscrits à voix haute & balbutiante ; et ce balbutiement, ce bredouillement de l'écriture en fait, sans conteste, un poète bruyant.


CQFD.