VIE ET MORT DE BRUNO MONTELS par Alain Frontier

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

VIE ET MORT DE BRUNO MONTELS par Alain Frontier

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Puis il est mort. Son cri est toujours un cri silencieux. Il est debout devant son public. Il lui tourne le dos. Il ne lui tient pas tête, mais plutôt l'entraîne derrière lui, puis il est mort. Son corps est tordu. Son corps est mince et tordu, il entre dans une danse inconfortable. Il s'exténue à dire quelque chose à voix basse. Mais il ne donne spectacle d'aucune idée. Dans un sens, il n'a rien à dire. Il ne se déplace pas, quelque chose se déplace en lui. Il fait résonner la salle d'un chuchotement presque inaudible. Il n'a pas de loi qu'il veuille imposer. Il dit qu'il y a parfois comme un souffle brutal et soudain, et qui arrive en plus. Il dit qu'il n'a pas écrit cet emportement. Même les bruits du dehors, qu'il entend très bien, ne sauraient couvrir sa voix. Il n'est pas seul au milieu des autres. Il circule vivement parmi eux, il n'a pas d'arrogance. Il passe légèrement. Il a une façon à lui de sourire, puis il est mort. Il est toujours vigilant. Il écoute. Il est en quelque sorte aux aguets. Il dit qu'il a des fantasmes qui sont une seconde vie, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit, il guette plutôt le moment où lui-même. Parfois un mot sort de la page. Alors il voit sa propre langue parler à côté de lui. Il sent qu'il s'éloigne de lui-même et qu'il se perd de vue. Il sent qu'il est en danger. Il sent une sorte de creux au fond de lui-même dans lequel il va tomber. Il a besoin de s'accrocher à la page. Le battement régulier de son doigt contre le bord de la table l'empêche de tituber. Il a comme des bribes de temps qui éclatent et s'enfoncent. Il dit que les temps se mélangent. Il dit que peut-être sa mère n'a pas brûlé dans l'incendie. Il n'est pas sûr. Les murs se couvrent de caractères et les corps aussi se mélangent, il dit que les polices se mélangent et se brouillent et que les façades quand il passe le regardent avec ses propres yeux. Il froisse la page qu'il vient d'écrire et la jette loin de lui. Bruno Montels jette la page comme s'il n'en avait pas besoin, il dit qu'il n'en a plus besoin. Puis il est, mort. Puis.