Ayelen PAROLIN / RUDA – SIMPLE par Thomas D. Lamouroux

Les Incitations

11 avril
2023

Ayelen PAROLIN / RUDA – SIMPLE par Thomas D. Lamouroux

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Une danse qui invente un rire qui invente une danse.

Au début, (d'une certaine façon pendant tout le spectacle), on ne sait pas.

On ne sait pas si l'on doit rire.

(Ou d'une certaine façon, on sait sans savoir. Mais est-on sûr de savoir ? Et pourrait-on rire sans cette hésitation ?)

Peut-être que le spectacle n'a pas su s'arrêter à temps. Qu'il a poussé les codes du contemporain trop loin. Peut-être que l'impression de parodie est involontaire.

Mais la danse qui se déplie là est-elle vraiment une parodie de danse ?

Il est écrit sur le programme que c'est comique. Il n'y a pourtant pas eu sur scène les petits panneaux qui disent RIEZ. Il manque les indications du rire. Les signaux d'une intention comique n'ont pas été donnés. Est-on censé rire ?

Il y a pour le spectateur un jeu avec l'ambiguïté.

Des danseurs mais des performeurs. Combinaisons moulantes jaunes mouchetées tie & dye mais oniriques et géométriques. La répétition musicale du mouvement dans les duos mais avec le troisième danseur traversant la scène du pas d'un coucou détraqué.

Un centaure psychédélique.

Du grotesque chevauche du beau. Et / ou le contraire. Mais l'un jamais clairement coupé de l'autre.

C'est un rire très caractéristique qui finit par naître chez le spectateur. Émaillé de grands éclats rattrapés aussitôt qu'échappés, c'est un courant, un rire au-dedans et continu, partagé mais sans valeur sociale. Quelque chose comme un fou rire à l'intérieur. Une jubilation turbulente.

Le contemporain est poussé au-delà du ridicule. Radicalement bizarre. Le regard tourné vers l'horizon d'un absurde pur.

On pense à un gag muet de Tati, ou plutôt à un élément dans un gag de Tati, qui aurait été isolé et répété jusqu'à l'invention d'un geste puis (en quoi justement il s'agit d'un moment de grâce) jusqu'à le faire clocher, trébucher/déraper… et basculer vers l'invention d'un autre geste. Tout aussi bizarre, tout aussi heureux!

Burlesque minimaliste irrésistible. On pense aux chevaliers à la noix de coco de Sacré Graal. On pense à la course de l'écureuil après son gland dans l'Âge de glace...

Mais sans paroles sans histoire sans situation sans personnage. 

Sans musique. 

Juste la percussion des pas et la projection des souffles. Chu chu. Chu chu. Un deux. Un deux. Trois quatre...

Juste l'incohérence martienne (et lunaire) des gestes (et des costumes) qui finissent par dessiner des rythmes (et des rythmes de couleurs). 

Ruptures, silence.

Puis un chant de tête rentré sans qu'on puisse savoir dans le corps duquel des 3 danseurs. Le son bouche close s'amplifie, devient une mélodie qui s'identifie aux derniers mots Bésame muuuuuucho ! (Ayelen Parolin est argentine.)

La danse prend son élan dans des non-sens, une suite de non sens.

Puis une autre chanson, mais cette fois, les 3 en chœur (à tue-tête), ils chantent très mal dans un anglais très approximatif. When I was young, I was petrified. Puis le refrain de l'équipe de France de 98, ils explosent. I WILL SURVIVE, I WILL SURVIVE. (Ayelen Parolin s'est formée en France à la fin des années 90.) Ils courent partout, se mettent à casser les éléments du décor, à se frapper avec. Le chaos, une folie de carnaval qui s'abat sur la scène (et la danse qui a mis un instant le masque de la satire). 

Puis encore arrêt, les 3 danseurs qui se regardent, qui semblent se demander ce qu'ils font.

Puis l'incongru des corps qui reprend, comme si de rien n'était. (Car que pourrait-on faire d'autre que cette danse cosmico-comique ?)

Nous admirons les effets d'approximations, les échos incertains, les symétries imprévisibles. Les bâtons rompus des gestes redéploient la signification.

Citation de Clément Rosset : « Il est toujours possible d'imaginer une volonté pour relier après coup une succession d'actes insignifiants, de même qu'il est toujours loisible au Dieu de Leibnitz, omniscient, de trouver la fonction mathématique de la courbe invisible qui passe par une succession de points éparpillés au hasard. » (Le Réel, Traité de l'idiotie)

Saccades, cloche-pieds, acrobaties haltérophiles, applaudissements. Pieds de grues, arts martiaux. Étonnements de poule devant un couteau, hiéroglyphes. Chorégraphie mécanique de la noisette. Boucles élastiques du rire. Corps burlesques aléatoires rythmiques.

Et sur le quai du métro, à peine le spectacle terminé, l'envie pour plusieurs spectateurs, aussi étrange que logique, enfantine, de danser, en refaisant les gestes !

 

Extraits du spectacle DU 22 AU 25 MARS 2023