L'IRRESPECT (lire respect, l'ire-respect) DÛ AUX MORTS (Nietzsche etc.) par Jean-Marc Baillieu

Les Incitations

09 août
2019

L'IRRESPECT (lire respect, l'ire-respect) DÛ AUX MORTS (Nietzsche etc.) par Jean-Marc Baillieu

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Colossale fortune éditoriale posthume de Friedrich Nietzsche (1844 -1900) plus de cent ans après son aphasie et sa mort, ou plutôt : fortune de ses éditeurs posthumes, vivants vampirisant des morts selon certains, Gallimard pour l’essentiel en France : 108 entrées au catalogue (ce 9 août 2019) plus 6 au Mercure de France et 8 chez Denoël, ses filiales… Plus de quarante ans après le tome XIV des Œuvres philosophiques complètes (Gallimard) traduit par J-C Hémery sous la responsabilité de M. de Gandillac et de G. Deleuze (à partir de l’édition établie par G. Colli et M. Montinari), vient de paraître chez le même éditeur, en collection La Pléiade, le deuxième tome de ses Œuvres qui comprend les livres de la période 1876-1882 (dits parfois de la « philosophie de matin ») à savoir Humain, trop humain, Aurore et le Gai Savoir « traduits de l’allemand » par R. Rovini, P. Klossowski, J. Hervier, M. de Launay qui dirige cette édition avec la collaboration de Dorian Astor par ailleurs auteur-coordonnateur d’un Dictionnaire Nietzsche publié en 2017 en Bouquins (Robert Laffont). Egalement récemment en librairie publié par Gallimard le tome V de la Correspondance de F. Nietzsche sous la responsabilité de J. Lacoste. 

Par ailleurs, la Bibliothèque allemande, collection des éditions Les Belles Lettres, propose du même en 920 pages et pour 45 € des Poèmes complets, introduits, traduits et annotés par Guillaume Métayer (né en 1972), chercheur au CNRS, « spécialiste de la postérité des lumières en France et en Allemagne », poète (non maraîcher d’obédience « rimes & sonnet »), proche de la revue Catastrophes, et déjà traducteur du redoutable hongrois. Le gros du travail lui revient puisque F. Nietzsche n’a pas publié de Poèmes complets, et, au-delà de la « retraduction » de poèmes déjà connus (Gallimard fut en 1993 le nécro-éditeur de quelques poèmes dans l’anthologie bilingue de poésie allemande en Pléiade dirigée par J.-P. Lefebvre, et en 1997 d’un volume sélectif traduit dans sa collection de poche Poésie par Michel Haar), G. Métayer s’est attelé à revisiter (allant jusqu’à Weimar) l’œuvre du réputé philosophe pour en extraire un chemin en poésie ici chronologique et en bilingue, un bon point car rien de tel n’existait même en allemand… Evidemment diront certains, puisque Nietzsche n’avait apparemment pas formé le projet de réunir ses poèmes : est-ce là un crime de lèse-majesté pour autant ? Non si cela permet un certain éclairage de celui qui est avant tout reconnu comme philosophe, et même génie de la philosophie. Quant à la qualité de la traduction, chacun jugera ou non sur pièces, sachant que le parti-pris du traducteur s’est attaché à la versification et à la musicalité. Rappelons à ce sujet que celui pour qui « Sans musique vivre serait une erreur » a lui-même composé : Jeroen Van Veen (né en 1969) a interprété en 2017 sa « Piano Music » (Brilliant Classics 95492).

Que l’émotion et l’écriture poétiques aient compté pour le philologue F. Nietzsche, il serait vain de le nier, mais on peut s’interroger de savoir si, au-delà ou par-delà le cheminement de poésie stricto sensu mis en lumière par ces Poèmes complets, d’autres écrits ne peuvent pas être crédités du qualificatif de poétiques, par exemple les Fragments posthumes de l’été 1888 (pp. 297 à 317 du volume XIV cité au début du présent article) où l’on peut d’ailleurs lire : « oh, ces poètes / Il est chez eux des étalons / qui hennissent chastement »…  Enfin, dernière minute : suivant la mode des traductions revisitées dès le titre selon l’air du temps, un éditeur s’apprêterait à publier une traduction d’Ecce homo intitulée Voici le gay… Blague ou  fausse nouvelle, c’est à suivre, assurément, politiquement correct ou pas !