La peste soit du fat par Julien d'Abrigeon

Les Incitations

16 mars
2016

La peste soit du fat par Julien d'Abrigeon

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« Ça peut pas faire de mal. » Vraiment ? Comment penser que lire de la poésie puisse être inoffensif ?
La poésie menace, rappelons-le.
Et lire, comme le fait Guillaume Gallienne, la poésie de ce « ton » égal, toujours égal, toujours également égal, quel que soit l'écrivain, n'est pas sans conséquence. Oui, cela peut faire du mal. Beaucoup de mal. À la poésie même. La diffusion de cette vision compassée de la poésie ruine bien des efforts de poètes qui travaillent à sortir la poésie de sa gangue romantique depuis un siècle, cherchent à la mettre debout, à l'écrire orale et sonore (Ghil, Apollinaire, Tzara, Albert-Birot, puis Heidsieck, Chopin, Dufrêne, Blaine, Prigent, etc).
La poésie, dans toute cette dimension orale qui la constitue, est un art bien trop vivant pour être laissé dans la bouche de tels acteurs-confiseurs sans réagir. Voilà la poésie jouée, lue « en y mettant le ton », avec ces insupportables petites suspensions, chuchotée avec sérieux et yeux plissés sur-mimant le plaisir, telle qu'on nous la sert, en conserve. La poésie confite, comme on la confine aux Poésie-nrf Gallimard dans trop de librairies. Et allons-y pour Baudelaire, Eluard, Aragon, et tout le toutim de la team « Anthologie d'anthologies anthologiques, yaaaawn ».
Lors d'une émission radio, Gallienne avouait qu'il était bien trop occupé pour choisir les textes de son émission, qu'il laissait ce soin à ses assistantes et qu'il découvrait les poèmes en les lisant. (Ici, insérez une pulsion de mort violente). Cela n'empêche en rien la sortie de cette chose en CD Radio-France pour coffret de Noël. « Ça ne peut pas faire de mal au portefeuille », à défaut de porte-voix.

 La lecture de poésie doit pouvoir faire du mal, ronger le lecteur (« le lecteur veut mourir peut-être ou danser et commence à crier / il est mince idiot sale il ne comprend pas mes vers il crie / il est borgne / il y a des zigzags sur son âme et beaucoup de rrrrrrr / nbaze baze baze »T.T.). La poésie n'est pas ronflante, elle n'est pas une décoration auditive pour prothèses auditives, elle ne berce pas, ne flatte pas. Elle frappe. Elle ne va pas dans le sens du poil de la bête qui est toujours là, prête à mordre son maître. La poésie lue n'est pas un spectacle, hurle. Elle n'est pas une gourmandise, la poésie ne colle pas aux dents, elle glisse, éclate de poivre, elle a un goût d'aluminium qui bave rouge. Elle n'est pas tendre avec elle. Ce n'est pas un bibelot littéraire, une niche pour comédien isolé. La poésie debout n'est pas pour les assis, pas pour les demi-lunes et les fauteuil clubs. Elle n'est pas là pour être vendue en CD dans les Leclerc comme cadeau de dernière minute pour mémé. « La poésie n'est pas poétique, c'est une épouvante » (R.H), elle est explosive, et oui, elle peut faire mal. Très mal.

Tremblez salopards, la poésie menace.

 

 

TT : Tristan Tzara, RH : Raul Hausmann