Mc Donagh, 3 Billboards Outside Ebbing, Missouri par Michaël Moretti

Les Incitations

27 janv.
2018

Mc Donagh, 3 Billboards Outside Ebbing, Missouri par Michaël Moretti

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Bing à Ebbing

« Cela me plaisait que le titre soit long, excentrique. Et le fait qu'il soit tellement particulier le rend aussi mémorable. » déclare le réalisateur anglo-irlandais McDonagh. La traduction française de son troisième film est toujours aussi ridicule, il va falloir y remédier un jour, 3 billboards - Les Panneaux de la vengeance. La loi 101 n'est, pour une fois, pas heureuse : Trois Affiches Tout Près d'Ebbing, Missouri au Québec. L'amateur de The Clash, de Ne vous retournez pas de Nicholas Roeg (Don't Look Now, 1973), où un couple éprouve la disparition brutale de leur jeune fille, et de Paris, Texas (Wim Wenders, 1984), nous décrit au scalpel un patelin perdu dans le trou du cul du Midwest, Missouri, mi-péquenauds, dans la Bible Belt, même si le lieu de tournage est plutôt dans l'ouest de la Caroline du Nord, une bourgade montagnarde. Consciencieux, McDo a visionné ses deux autres films : dans 7 psychopathes (Seven psychopaths, 2012), « il manquait une connexion humaine. Dans In Bruges, j’étais avec le personnage de Colin Farrell et laissais de l’espace pour la part triste de l’histoire à travers les silences, les regards. Ce n’était pas simplement drôle, burlesque. ». Mais caution, Lemmy, pour ce polar qui n'en est pas un : « Il ne s'agit pas pour autant d'une réaction directe à la situation en Amérique ces dernières années ». Quelques séquences à la Tarantino sont efficaces pour ce film d'1h55 : un passage à tabac avec défenestration, dans un bar pour la bonne cause, le retour de fraise du dentiste qui venge Dustin Hoffman en Babe (Marathon man, John Schlesinger, 1976) ; la peau de vache qui, dans ce rape and revenge mais pas que, balance des cocktails Molotov et cogne des lycéens impertinents devant son fils médusé. Ambiance.



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Humains, trop humains



Mère ___rage



Outre un humour noir à la Coen, même si McDo s'en défend, et des dialogues à la serpe trempée dans l'acide (« Tu sais ce qu'ils font des tafiottes à Cuba ? Ils les tuent ! - Tu es sûr que ce n'est pas plutôt dans le Wyoming ? »; McDo s'inspirant de Pinter, Shepard, ses personnages forts en gueule et loosers magnifiques, et Mamet a écrit The Leanane Trilogy et The Aran Islands Trilogy, récompensés en 1996 du London Critics Circle Theatre Awards; dès 2003, son univers théâtral se teinte d'humour noir avec The Pillowman, A Behanding in Spokane créé à Broadway en 2010 avec en tête de gondole Christopher Walken; à noter que McDo trouve fort justement que MilkShakespeare est ennuyeux), les personnages sont complexes, évoluent en sondant leur part d'ombre mais aussi leur beauté puisque, selon le metteur en scène, il s'agit d'un film … optimiste ! « Le plus terrible dans ce monde, c'est que chacun a ses raisons. » Renoir l'avait déjà mentionné.



Et voilà que débarque Frances McDormand, déjà auréolée d'un oscar pour son rôle de flic humaine, teigneuse et enceinte jusqu’au cou (Fargo, 1997, Frères Coen dont l'un est marié à Frances qui joua Abby, une femme prise dans un triangle amoureux entre patron de bar texan, barman et tueur à gages au rire sardonique dans Sang pour sang, Blood simple, 1984, dans Arizona Junior, Raising Arizona, 1987, Miller's Crossing, 1990, The Barber, 2002, Burn After Reading, 2008 où elle a incarné l'employée loufoque d'une salle de gym, collègue de Brad Pitt, rêvant de chirurgie esthétique, Ave, César !, 2016 en passant par l'ami du clan, Sam Raimi, Darkman, 1990, ou encore Ken Loach pour Secret Defense, Hidden Agenda, 1990, John Boorman, Rangoon, Beyond Rangoon, 1995, le thriller Mississippi Burning d'Alan Parker, 1988 où elle est nommée pour l'oscar du meilleur second rôle tout comme dans Presque célèbre, Almost Famous, de Cameron Crowe, 2000 où elle est la mère, Père et flic, City by the Sea, Michael Caton-Jones, 2002 où elle dialogue avec Robert de Niro, ou encore la femme de Sean Penn, un rocker gothique vieillissant chasseur de nazi dans This Must Be the Place de Paolo Sorrentino, 2011, Moonrise Kingdom de Wes Anderson, 2012 avec Edward Norton et Bill Murray, le blockbuster de Michael Bay Transformers 3 : La Face cachée de la Lune, Transformers : Dark of the Moon, 2011; au théâtre, elle incarna un rôle dans Un tramway nommé désir, A Streetcar Named Desire de Tennessee Williams ou encore Lady Macbeth dans la pièce de Shakespeare), en white trash travaillant dans une boutique de souvenirs kitschs avec son bandana en hommage à Walken dans Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter, Michael Cimino, 1978), son visage figé, la mâchoire serrée à la Calamity Jane avec son bleu de travail. L'un des deux flashbacks indique que les rapports avec son ado, la mal nommée Angela, une sorte de MacGuffin à la Laura Palmer, n'étaient pas simple : elle lui a interdit fermement d'emprunter la voiture le soir fatidique. Balancer des céréales sur la tronche du jeune fiston (celui qui était dans Manchester by the Sea, Kenneth Lonergan, 2016 traite ici sa mère de « vieille pute ». Mildred s'insurge : « Pourquoi vieille ? Je ne suis pas vieille ! ») n'est pas d'une élégance folle bien qu'il soit drôle de se retrouver dans une scène à la Laurel et Hardy dont bien des parents rêvent. « Elle est arrivée avec cette idée de western, et d'une figure de ce type. Sans apprécier John Wayne outre mesure, j'ai trouvé judicieux le choix d'une icône américaine pour qui le job doit être exécuté. Mais du coup, le film a sans doute un peu plus penché du côté du western que je ne l'imaginais au départ. Et Carter Burwell, le compositeur, a dû s'en rendre compte lui aussi, parce que sa partition a apporté des touches de western-spaghetti. Après coup, j'ai dû me rendre à l'évidence : les éléments de western, avec une personne débarquant en ville pour aller débusquer les méchants, sont bel et bien présents, même si je n'avais pas envisagé Three Billboards comme tel au moment de l'écriture. » Western oui, dans la lignée entre autres de Trois enterrements (The Three Burials of Melquiades Estrada, Tommy Lee Jones, 2005) et Comancheria (Hell or High Water, David McKenzie, 2016) mais pas seulement. Il y a aussi du Spencer Tracy errant dans la bourgade d'Un homme est passé de John Sturges (Bad Day at Black Rock, 1955), à la recherche d'un nippon lynché par les autochtones durant la deuxième guerre mondiale. Cette go and get it, qui pourrait être une Mildred Pierce (Le roman de Mildred Pierce, Michael Curtiz, 1945) n'a pas sa langue dans sa poche, en bravant le code Hayes, en recadrant un prêtre sur le thème de la pédophilie, en remplaçant ces foutus babillards énormes, qui se voient de loin sur une route abandonnée, autour desquels le film est un peu trop axé en plans larges et en perspective : « Agonisante et violée »; sur le deuxième, « Et toujours pas d'arrestation ? »; « Pourquoi, chef Willoughby ? » sur le troisième en lettres noires sur fond carmin. « Ma fille, Angela, s'est fait enlever, violer et assassiner, il y a sept mois le long de cette route. Et apparemment, les policiers de la région sont trop occupés à torturer les Blacks pour avoir le temps de faire leur boulot et d'aller arrêter les vrais criminels. Je me suis dit que ces panneaux les feraient peut-être réfléchir... En fait, je ne sais pas ce qu'ils font. Ce que je sais, c'est que le corps brûlé de ma fille repose six pieds sous terre. Et eux, ils s'enfilent des beignets toute la journée et arrêtent des gosses parce qu'ils font du skate sur les parkings... » Nous pourrions nous passer des photos du corps calciné. C'est pendant un de ces voyages que Martin McDonagh, entre Alabama, Georgie et Floride, a aperçu à travers la vitre du bus qui traversait une ville du sud des Etats-Unis, trois panneaux publicitaires qui reprochaient à la police locale de ne pas avoir élucidé un meurtre. « J'y ai lu de la colère, de la douleur et du courage » souligne McDonagh.



Grillé, le poulet



Bref échange entre l'incompétent chef de la police, qui se révèle proche des gens, un bon manager rempli de bonté et de philosophie, un père et un époux admirable, à lire sa touchante lettre d'amour, et la mère tant éplorée au point que si on la secoue, elle est pleine de larmes : « Vous saviez que j'étais malade, mais vous avez quand même mis mon nom sur cette affiche ? » demande, incrédule, le robuste flic à Stetson. « Pour que ce soit efficace, il fallait bien le faire avant que vous claquiez, non ? ». Le chief Woody Harrelson était déjà présent dans la série True Detective, Tueurs nés (Natural Born Killers, Oliver Stone, 1994), No Country for Old Men (avec le Stetson de Wells, Frères Coen, 2007), Insaisissables (Now You See Me, Louis Leterrier, 2013) avec sa stature, sa tronche de traviole qui bouffe ses mots pour en sortir des perles.



Les flics n'ont pas la part belle. « Tu sais, si on devait dégager tous les flics racistes, il n’en resterait que trois. Et ces trois-là détesteraient les pédés » (Woody Harrelson à Frances McDormand). Dixon cumule : redneck plus ultra fort bas de plafond (pléonasme), raciste (il cogne les noirs mais n'aime pas qu'on les traite de « nègres » car ce sont des « gens de couleur » qu'il tabasse ! « So how's it all going in the nigger-torturing business, Dixon? - It's "Persons of color" - torturing business, these days, if you want to know ... »), homophobe, fainéant à mettre les talons sur le coin du bureau (avec Abba en fond), alcoolique, fils à maman elle-même alcoolique et autoritaire. « Dans un premier montage, il y avait plus de numéros de Sam Rockwell faisant l’idiot par exemple. C’étaient de super scènes mais cela nous éloignait de la tragédie. » Rockwell prend son pied en adjoint Dixon et nous aussi : « Je suppose qu’il y a une part de dégoût de soi, dont souffrent beaucoup de racistes. Je pense que c’est d’abord cela. Il y a aussi sa relation étrange avec sa mère. » affirme l'acteur qui a travaillé avec un suprématiste blanc repenti. S'il a patrouillé avec de la flicaille pour s'imprégner, il s'inspire également de la série Cops. « Coal Miner's Daughter est un super film sur la culture hillbilly, Tender Mercies avec son regard sur la country, Lonesome Dove est excellent, d'autres westerns aussi ou même The Right Stuff, qui en a la philosophie. » L'incroyable Rockwell, véritable character actor interpréta des rôles dans le cinéma indépendant new-yorkais (Last Exit to Brooklyn d'Uli Edel, 1989, Basquiat de Julian Schnabel, 1996, Box of Moonlight de Tom DiCillo, 1996) et aussi dans Celebrity de Woody Allen (1998), Galaxy Quest de Dean Parisot (1999), dans La ligne verte (The Green Mile, 1999) de Frank Darabont en psychopathe marquant, Confessions d'un homme dangereux (Confessions of a Dangerous Mind, le premier film de Georges Clooney où Rockwell obtint le prix d’interprétation à Berlin en 2002) où il est Chuck Barris l'animateur de tv, Les associés (Matchstick Men, Ridley Scott, 2003), L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (The Assassination of Jesse James, Andrew Dominik, 2007), dans Frost/Nixon, l'heure de vérité (Frost/Nixon, Ron Howard, 2008), Moon (2009) de Duncan Jones, le fils de Bowie, où il est Sam Bell l'astronaute, Iron Man 2 (Jon Favreau, 2010), Cet été-là (The Way, Way Back, Nat Faxon et Jim Rash, 2013), dans The Best of Enemies (Robin Bissell, en cours de tournage) comme membre du Ku Klux Klan. Il ne partage pas que le même goût pour le cinéma indépendant américain des années 70 (Bob Rafelson, Martin Scorsese, Peter Bogdanovich, Terrence Malick, etc.) avec McDo, il a participé à sa pièce A behanding in Spokane et à son deuxième film, 7 Psychopathes (2012). « Sam [Rockwell] et moi, nous apprécions les films avec Robert De Niro jeune, Marlon Brando, James Dean ou Montgomery Clift. Et en écrivant, j'ai réalisé qu'ils n'avaient pas vraiment d'équivalent féminin : les jeunes filles n'ont pas de Travis Bickle [le personnage joué par Robert De Niro dans Taxi Driver, M. Scorsese, 1976] ou de Marlon Brando, quelqu'un pouvant influer sur la façon dont vous allez marcher ou vous tenir, adolescent. » Baste, le poulet cédera à la rédemption, thème américain en diable, grâce à l'un des redoutables et imparables effets de scénario, des arcs, qui nous font tomber dans le panneau.



Zeljko Ivanek, figure familière des génériques télé et ciné, est également un sergent Rantanplan.



Des seconds rôles pas si seconds



Les acteurs-trices sont au même niveau. Peter Dinklage, nain viril sorti de Freaks - La monstrueuse parade (Freaks, Tod Browning, 1932), Fellini, Les nains aussi ont commencé petits (Auch Zwerge haben klein angefangen, Werner Herzog, 1970), également Tyron Lannister dans Game of Thrones, est touchant dans une étrange scène de drague. Le flic, ex-mari de Mildred, Hawkes en Charlie, se tape une jeunette écervelée en short de … 19 ans qui arrive à sortir, à la lecture d'un marque-page, que « La haine attise la haine ». La belle gueule Caleb Landry Jones (Red Welby), aux chemises incroyables, a été vu dans The social Network (David Fincher, 2010) et dans Queen and country (Boorman, 2014), Twin Peaks (David Lynch, 2017), Get Out (Jordan Peele, 2017) et The Florida Project (Sean Baker, 2017). Il a débuté dans No Country for Old Men – op. cit.). Un directeur d'agence de pub qui lit Flannery O'Connor n'est pas fondamentalement mauvais ! Enfin, celui qui remet les pendules à l'heure au commissariat, Clarke Peters, dégage une véritable classe et laisse songer à une réincarnation de Morgan Freeman.





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La fin, un road-movie vers l'Idhao, est ouverte et ingénieuse. Par contre, maigres réserves, certains plans avec du flou en second plan font bondir, de même qu'une surexposition aveuglante dans deux scènes. Enfin, l'omniprésente musique de l'habitué des Coen, Carter Burwell, ponctuée de standards folk ou country pour renforcer l'americana (Townes Van Zandt, Joan Baez, etc.), indispose parfois tant la scène est surlignée. Un bon film bien ficelé.



Bingo pour ce film à 15 millions de dollars financé par la filiale « art et essai » du studio Fox : prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise 2017; people's Choice Award au Festival international du film de Toronto 2017 (TIFF); prix du public au festival international du film de La Roche-sur-Yon et à Vesoul (2017); quatre golden globes (meilleure actrice, meilleur film dramatique, meilleur second rôle pour Sam Rockwell, et meilleur scénario) antichambre des oscars pour McDo & McDo, SAG awards, syndicat hollywoodien des acteurs (meilleure actrice pour Frances McDormand, du meilleur second rôle et de la meilleure distribution), Critics choice awards et ce n'est certainement pas fini. Mérité.