Nietzsche, peu apocryphe par Christophe Stolowicki

Les Incitations

16 juin
2020

Nietzsche, peu apocryphe par Christophe Stolowicki

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Relativiser : le génie de Nietzsche, dont le meilleur est emprunté à Héraclite. Relativiser : l’attentat contre sa mémoire commis par sa sœur Elisabeth Förster-Nietzsche dont la falsification de l’œuvre du dernier philosophe n’a pu porter que sur les inédits, présentés sous le titre Der Wille nach Macht, La volonté de puissance, déjà en gésine dans Le gai savoir comme Verlangen nach Macht, « Aspiration à la puissance ». Antisémitisme : relativiser l’exception que serait Nietzsche, en cette fin de siècle où hormis les futurs dreyfusards, tous sont antisémites, de Baudelaire à Goncourt, en retour de bâton de la libération des juifs d’une fatwa millénaire. Nietzsche dans sa probité intellectuelle assumant toutes contradictions, tour à tour philosémite et antisémite, mais dans ce cas avec une profondeur creusant un manichéisme où s’est engouffré son séide ignoble, Heidegger.

Dans Mon cœur mis à nu, Baudelaire appelle de ses vœux « une Saint-Barthélémy des Juifs ». « Ce sera coûteux », écrit Nietzsche. À l’un ni l’autre le tréponème pâle qui ronge leur vie n’inspire de tendres pensées. Mais la tournure philosophique, ce qu’il en reste d’esprit de système, chez le poète moindre, fait remonter jusqu’aux confins des temps l’abjection des juifs qui ont écrit la Bible, le détestable Livre des Livres, le plus grand succès de librairie et de colportage de tous les temps, fauteur d’une morale du bien et du mal par delà laquelle – en vérité en deçà de laquelle – Nietzsche martèle la sienne, celle du noble et du vil. « La conscience, une invention juive », écrit Hitler, faisant beaucoup d’honneur aux juifs et manifestement inspiré par plus grand que lui.

« Déclin ! Déclin ! Jamais le monde n’est tombé si bas ! / Rome s’est abaissé à la fille, à la maison publique, / Le César de Rome s’est abaissé à la bête, / Dieu lui-même s’est fait juif ! » (dans Ainsi parlait Zarathoustra). Étonnez-vous qu’Otto Weininger, le seul juif qu’Hitler ait approuvé, se soit donné la mort en conclusion de sa philosophie.

La Nouvelle Droite, Alain de Benoist, Michel Marmin, dans les années soixante-dix, pour un paganisme européen : un dernier avatar.

Je relis La volonté de puissance n’existe pas, quatre essais de Mazzino Montinari inspirés par Giorgio Colli, tous deux militants antifascistes, dont la démonstration « scientifique » ne me convainc qu’à moitié. J’ai acheté un tome des Fragments posthumes établis par eux dont la compilation n’atteint pas à la puissance, à la cohérence déshérence démonstrative des livres publiés par Nietzsche de son vivant.

« La femme et le génie ne travaillent pas. Jusqu’alors, la femme était le luxe de l’humanité. À chacun des instants où nous faisons de notre mieux, nous ne travaillons pas. Le travail n’est qu’un moyen de parvenir à de tels instants. » Je reconnais ce passage, figurant inchangé dans La volonté de puissance. C’est moi qui ai changé, qui distingue nettement la fulgurante pertinence de Nietzsche en matière d’écriture et son indigence quant à la femme, son grand déficit. Tous les écrivains français qu’il a lus ne lui ont servi de rien.

Un génie resté en adolescence mais qui a poursuivi quelque temps sa course de météore et d’astre mort, contrairement à Rimbaud.

Cela dit. « Werde der du bist. Deviens qui tu es. Mais Nietzsche l’a emprunté à Pindare. « La chaîne d’or de ton moi », dans La volonté de puissance, mais éliminé des Fragments posthumes.

 Pour être clair : ne pas attribuer aux falsifications de Mme Förster-Nietzsche de part prépondérante à la montée du nazisme, « comme un magnétiseur ferait mûrir les raisins » (ceux de Baudelaire). Pas même Heidegger, membre actif du parti nazi, qu’encore trop de juifs vénèrent comme leur philosophe obligé (et leur tourment secret), s’engouffrant à la suite d’un dialecticien de pacotille, Jean-Paul Sartre, et d’une malheureuse, Hanna Arendt, séduite par un imposteur obtenant d’elle apurement de son passé (Holzwege , Chemins qui ne mènent nulle part), trop de juifs convaincus du Néant de leur Être vicié dès l’origine du Temps, le bien allitéré Sein und Zeit – non, pas même Heidegger n’a part déclencheuse à la rupture, en six millions de morts, d’un millénaire de glaciation antisémite. Plutôt évoquer le christianisme et sa structure retorse de meurtre du Père, la vestigielle synagogue. Ou la simple xénophobie animale balayant des faux semblants spirituels. Un ou deux millénaires d’un difficile métissage culturel, auquel pour ouvrir les ghettos il a fallu l’adjuvant d’un colossal pogrom. Ou bêtement la crise économique des années trente.

« Vivre à hauteur de pensée. » Non. Mais penser à étiage de vivre.