"The Fabelmans", film de Steven Spielberg par Michaël Moretti

Les Incitations

26 janv.
2023

"The Fabelmans", film de Steven Spielberg par Michaël Moretti

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Fabulous « The Fabelmans »

 

Voici, par le « joueur à la montagne » ou « montagne de jeu » (« play-mountain »=Spiel-berg) devenu homme-fable pour un film-somme, un bel amer Portrait de l’artiste en jeune homme. Il s’agit d’un vieux projet de 1978 – Growing up développé par Zemeckis  et Gale, vite supplanté par E.T., l’extraterrestre (E.T. the Extra-Terrestrial, 1982), où D. Wallace incarnait, tiens, tiens, une mère divorcée – réactivé grâce au Covid, décidément propice à réflexions (introspections avec Armageddon time, J. Gray, 2022 et Bardo, fausse chronique de quelques vérités, Bardo, falsa crónica de unas cuantas verdade, A. G. Iñárritu, 2022 ; le 7e art qui réfléchit sur lui-même avec Babylon, D. Chazelle, 2022 en référence au croustillant livre Hollywood Babylone, 1959 du cinéaste expérimental K. Anger). C’est le film le plus personnel de Spielberg, ce raconteur d’histoires issu du Nouvel Hollywood (Duel, 1971, téléfilm pour la tv), promoteur de blockbusters – comme quoi, il ne faut pas désespérer.

Son intimité est touchante jusqu’au déchirement (comme le souligne l’oncle d’Amérique tiré du théâtre yiddish, joué par le génial J. Hirsch et son inoubliable trogne, souvenons-nous de Des gens comme les autres, Ordinary people, R. Redford, 1980 et A bout de course, Running on empty, S. Lumet, 1988), tiraillé entre une mère créative et fantasque, ayant renoncé à sa vocation pour élever ses enfants, et un père, sobrement interprété par l’impeccable P. Dano (Little Miss Sunshine, J. Dayton et V. Faris, 2006 ; There will be blood, P. T. Anderson, 2007 ; 12 years a slave, S. McQueen, 2013 ; Love & Mercy, la véritable histoire de Brian Wilson des Beach Boys, Love & Mercy, B. Pohlad, 2014 ; Okja, Bong Joon Ho, 2017), scientifique et rigoureux, sur fond de triangle amoureux, d’années 50-60 à la American graffiti (1974), cet autre teen movie de l’ami G. Lucas, devenu directeur de franchise et d’effets spéciaux.

 

Il ne fait pas bon être cinéaste, si nous nous référons, par exemple, à l’enfance de Bergman et ses angoisses (Fanny et Alexandre, Fanny och Alexander, 1982, film, 1983, tv), au voyeurisme traumatique de Brian de Palma, à l’asthme dans un quartier mafieux de New York pour Scorsese, à l’ennui de Tim Burton à Burbank (LA) avec un père absent (Big Fish, 2003 avec l'excellent A. Finney), surtout si l’antisémitisme, avec harcèlement, s’immisce, comme en Californie. Les références filmographiques citées le long de cet article démontrent l’attachement de Spielberg à une enfance revisitée, fantasmée.

La lanterne magique devient ici caméra Super 8 ; nous revivons la préhistoire du cinéma avec les essais enfantins et artisanaux de Spielberg à coups de colleuse et de ciseaux avec, au mieux, son Arriflex (reconstituer un accident de train à la suite de Sous le plus grand chapiteau du monde, The greatest show on earth, Cecil B. De Mille, 1952, ce pré blockbuster, qui inspira Le Train fantôme, Ghost train, 1985, Histoires fantastiques, Amazing stories, saison 1, épisode 1, tv ; une bataille avec des figurants scouts annonçant Il faut sauver le soldat Ryan, Saving private Ryan, 1998 ; une scène de tempête préfigurant La Guerre des Mondes, War of the worl worlds, 2005).

Une scène clé, poignante, se révèle être une leçon magistrale de cinéma : sur une musique classique, jouée par la mère, Mitzi (superbe M. Williams, Le secret de Brokeback Mountain, Brokeback Mountain, A. Lee, 2005 ; Blue Valentine, D. Cianfrance, 2010 ; My week with Marilyn, S. Curtis, 2011 ; Manchester by the sea, K. Lonergan, 2016) - une fée Clochette, sortie de Hook ou la revanche du Capitaine Crochet (Hook, 1991), en danse éthérée de camping, digne d’une famille fantasmée à la Capra -, le cinéma devient voyeurisme avec une triste révélation comme dans Blow-up (M. Antonioni, 1966), Blow out (B. de Palma, 1981) et Conversation secrète (The conversation, 1974, F. F. Coppola). Derrière la catharsis et la fameuse résilience, c’est une réflexion, par mise en abyme, sur le statut de l’image dont il s’agit, de son rapport à la vérité.

Pour cela, il s’adjoint son équipe de choc : Tony Kushner (Munich, 2005 ; Lincoln, 2012 ; West side story, 2021), prix Pulitzer pour l’indispensable pièce Angels in America (superbe Al Pacino dans l’adaptation en série, 2003) et un Tony Award, avec qui Spielberg signe son scénario - fait rare (Rencontres du troisième type, Close encounters of the third kind, 1977, où apparaît le Truffaut de Les quatre cents coups, 1959, L’enfant sauvage, 1970 et L’argent de poche, 1976 ; A.I. Intelligence artificielle, A.I. Artificial Intelligence, 2001, d’après une idée originale de Kubrick); J. Kaminski (Il faut sauver le soldat Ryan, Saving private Ryan, 1998 ou La liste de Schindler, Schindler’s List, 1993; sorti de sa retraite, J. Williams à la musique ; montage par Sarah Broshar et Michael Kahn ; la productrice K. Macosko Krieger, citée plusieurs fois aux Oscars (Pantagon papers, The post, 2017 ; West side story, 2021). Spielberg s’est reconstruit une famille, celle du cinéma, le seul langage avec lequel le prince de l’entertainment peut s’exprimer – enfin ! – sous le sceau de l’impérieuse nécessité.

 

La scène avec l’impénétrable et menteur Ford (L’homme qui tua Liberty Valance, The man who shot Liberty Valance, 1962 est cité plusieurs fois sous différentes formes), incarné par Lynch, restera dans les annales. Les bruits de l’allumage de cigare restent en tête. Rien de tel qu’un hommage au cinéma en ces temps de salles vides, sauf pour Avatar (J. Cameron, 2009, 2022), dont le scénario tient sur un confetti.

 

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Si les Américains ne se sont pas précipités au box-office depuis novembre, le film a déjà raflé le prix du public au Tiff (Toronto), du Meilleur film dramatique et du Meilleur réalisateur aux Golden Globes. Un Oscar est assuré pour celui qui reçoit un Ours d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière à la Berlinale.