Aden Ellias, Les Artistes par Jacques Barbaut

Les Parutions

21 févr.
2022

Aden Ellias, Les Artistes par Jacques Barbaut

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Aden Ellias, Les Artistes

            Après un départ en fanfare tout entier écrit au conditionnel (mode du peut-être ou du désir — « Largent coulerait à flots, et cela faciliterait bien des choses » —, peut-être du désir) décrivant la trajectoire d’un jeune couple arty qui parviendrait jusqu’aux hyper sommets de la réussite et de la reconnaissance artistique à vitesse grand V — elle, mixte de Lady Gaga et de Niky de Saint Phalle, lui, version purement fantasmatique de Bret Easton Ellis et de Jean-Philippe Toussaint —, et de ses corollaires people, financier et politique, ce moderne conte de fées (« M le magazine du Monde ferait sa une non pas sur Anna ni sur Virgil, mais bien sur lentité Anna-et-Virgil. Il en irait de même pour Vogue, pour Vanity Fair. Pour l’édition internationale de Time Magazine ») servi en amorce s’avèrera une fausse piste (« Ils auraient aimé que cela arrivât… »), un attrape-nigaud, un pétard mouillé.

 

            Écran de fumée, leurre ou jeu de dupes, cet appât ferait miroiter la présence/absence d’un membre fantôme : rappel opportun du virage de Jacques Derrida — une désoccultation — qui, après avoir refusé pendant deux décennies « quaucune image de lui apparût au dos du moindre volume ou dans quelque article qui lui fût consacré », survint pourtant sur le devant de la scène en acceptant de figurer dans un long-métrage de fiction, Ghost Dance (1982), y jouant son propre rôle, discutant avec Pascale Ogier de ce qui revient en tant que spectre : « je laisse à mon insu un fantôme me ventriloquer, c’est-à-dire parler à ma place […] Hamlet, Marx, Freud, Kafka ».

 

            Les Artistes, qui s’ouvrent sur un exergue emprunté aux Choses de Perec, bifurquent fissa — principe de réalité — pour Anna et Virgil — plutôt que Jérôme et Sylvie —, experts ès glandouillages — « Cette présomption, doublée dune belle paresse et dune peur de la confrontation, était caractéristique de leur utopie » —, vers une histoire (une option) nettement moins romanesque, plus étriquée, déceptive, à l’image de leur minuscule (l’adjectif est répété) deux-pièces du quartier de Bastille — c’est dans le Paris in, si vous l’ignoriez.

 

            Passage pour eux par un triolisme de bon goût sans drame ni passion, pour elle par l’enregistrement de quelques EP confidentiels, pour lui par la brown qu’on sniffe ou qu’on fume (mais que l’on ne s’injecte) — « la sensation du bonheur éprouvé par Virgil fut immédiate, radicale et définitive » —, crise de manque (soit saccage + baston) et passage par l’hôpital psy avec leçon de réalisme (ou effet de réel) et de morale assénée par un « Noam Chomsky du nord-est parisien ».

 

            In extremis, Virgil sera pourtant l’auteur de la supposée transcription d’une réunion d’un comité d’entreprise prétendue corporate, en réalité bouffonne — où l’on cite en douce Apollinaire et Gainsbourg —, à laquelle il assiste pour les besoins de la cause de la société Be Yourself, boîte de conseil dans laquelle il a été recruté en même temps que sa girlfriend. Pièce en un acte qui serait promise aux dithyrambes (retour au conditionnel initial), qui convoquerait Pinter, Tardieu ou Ionesco, il faut se pincer, trente pages du livre au statut plus qu’ambigu — une farce ? — qui sont imprimées en rouge fraise-écrasée sur papier brillant — c’est excessif —, couleur employée également pour la jaquette de ce livre au statut hybride parce qu’à la catégorie incertaine, qui balance entre roman (genre avec lequel l’auteur semble ne point vouloir se compromettre trop avant), pastiche, étude sociologique (ajoutez-y name dropping, questionnaires administrés dans la rue, enquêtes pour institut de sondages et compilation de verbatims, audits à la mords-moi-le-nœud pour la marche fluide des entreprises — « Mais les effets des semblants de réponses obtenues par des semblants de psychosociologues aux semblants de questions quils adressaient à des semblants de salariés n’étaient pas factices »), satire politico-économique, mise en scène du faux-vrai contemporain, de l’inversion des valeurs — « Internet aura créé une démocratie mondiale du contenu, et tout passionné de cosmétique ou de chatons, tout gymnaste intempérant, toute lycéenne unijambiste ou tout témoin dun double arc-en-ciel seront demain comme aujourdhui en mesure dy recueillir une célébrité planétaire durable et monnayable » —, chronique d’une décennie — les années Charlie —, sotie.

 

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