Andrea Zanzotto, Le Galaté au Bois par René Noël

Les Parutions

18 mars
2023

Andrea Zanzotto, Le Galaté au Bois par René Noël

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Andrea Zanzotto, Le Galaté au Bois

Genèses transversales

 

De Galatée, mythologie active sous toutes ses formes dispersées dans l'histoire et ses germes insoupçonnés, Andrea Zanzotto fait le plan, le fond vifs d'une réalisation de soi du monde, La Beauté (1968), recueil central disposant aux croissances denses du Galaté au bois (1978), aux feuilles décantées des jeux de société dessinées dans ces pages, soit jeu de cartes trévisanes actualisé, " Désormais il a été sondé dans sa totalité le bas-relief, l'artefact / de cette cubité extrapolée de la / Sylve Enchantée Jérusalem Libérée, XIII, / artefact comme tombe / qui est sous certains aspects rampe de lancements HCI au visage ... Coup de dés tétradimensionnels / HCliques arcs-en-ciels ", (p. 45), tous appuis des sens, de la vie concrète actualisent les mémoires. Le Tasse et Leopardi et autres novateurs arpenteurs de l'obscur invoqué, appelé par le verbe de Zanzotto à croître et exposer ses structures et langages, font alors assaut d'odeurs nées de couleurs élémentaires, les syllabes, les vers, les expressions, les rêves et les locuteurs innombrables créateurs des usages et des spécimens. Livre monde dont seules quelques aspects peuvent être ici cités, tant la prolifération, la science des vers, des formes poétiques, dont les sonnets d'une beauté rare " furtivités par éminences traces obscurs échos. " (p. 107), l'alimentent.

 

La poésie module quand le hasard va libre, peut à chaque ombre d'une phase du poème ou entre les syllabes faire assaut de novations composées partiellement de matières rejetées, censurées dont se nourrit l'avenir, " Couleurs à vol ras - chœur " (p. 61), spontanéités et expressivités traversières que la traduction restitue avec naturel, bonheur, faisant sonner, sœurs et cousines, les langues, tensions et exigences reçues et offertes telles qu'Andrea Zanzotto les a écrites, soit une poétique des plus généreuses et géniales, dans le sens d'un génie tutélaire d'Europe, Io sous Zanzotto fraîche et dispose, dans les vers aux odeurs de prés et de bois, l'aurore à peine levée. Tamisés colorés, modifiés, les rythmes neufs faits de silences, de conversations, de lectures, d'études, de marches, enrichissent l'occasion, la chance sans les effacer. La poésie de Zanzotto étant faite de mots, de syntaxes, d'expressions perdus dans les mémoires, une énergie porte-bonheur vivifie les actions diurnes et nocturnes de celui qui goûte à cette prolifération du vrai et le concrétise. Tant il en va du continu et du discontinu, d'une puissance de la parole intérieure rétive à toute servitude autre que la cause commune, parlant au plus grand nombre des humains de tous temps, impatiente de s'extérioriser.

 

L'Un, l'unique subvertis par la vue nocturne des bois de Zanzotto se libèrent de leurs habits de commandeurs, de leurs autocensures, s'enrichissent des vies actives des végétaux, des humains, " virus en navette / pour genèses transversales " (p. 77). Zanzotto a l'oreille et le regard réglés sur ces multiples réalités de l'histoire d'un lieu fait autant de ses géologies, de ses topographies, de ses espèces animales et végétales, que de ses langages, de ses modes d'expression, de leurs caractères respectifs et de leurs alliances dispersées dans l'espace-temps. Ni grande, ni mineure, ni édifiante, ni desséchée à l'image de croquis à gros traits jetés en toute hâte sur la page et laissés en plan, illisibles à jamais et sources de toutes sortes de labyrinthes artificiels, pas plus que phasme verbal, prose camouflée, simple écho des récits linéaires et cumulatifs, la poésie de Zanzotto relève les mémoires enfouies, les génies exotiques du lieu-dit Pieve di Soligo, les mannes et flores prospèrent, dès lors qu'elles sont ces greffes actives participant du souffle, des rythmes, des syntagmes, des néologismes neufs, non plus reléguées abusivement ou rafraîchies en surface, mais textures étymologiques novatrices et déjà familières. Et crée une alchimie singulière des courants de la poésie italienne, ce que l'essai du traducteur précise, éclairant les forces centripètes et centrifuges, les vents des contraires maintenant l'unité du poème et les vitalités des matières ventriloques, écrites.

 

L'avant-garde qui jure avec son époque - use et abuse de l'arrêt-image, tout autant que ceux qui interrompus dans leurs gestes quotidiens ont pour réflexe d'achever leur labeur en enjambant les guerres à outrance, distraits du désastre, naïfs par manque de méthode bien souvent, pensant pouvoir reprendre leur ouvrage là où il a été stoppé brutalement - peut à tout moment rectifier ses moyens et ses buts, écrit en substance Zanzotto après bien des crises et des paralysies, poisons et contrepoisons qui ont été ses témoins d'émancipation. Le bois de Pieve di Soligo n'a-t-il pas vu l'Empire austro-hongrois finir, tari, là, le cœur des branches, des ramifications, des nœuds " (Certaines ravines circulaires emplies d'arbres et plantes - et puis des trous sans fond) Rhabdomantiques et prudents devraient être les sondages / comme gestes liturgiques ou mouvements de biopsies - " (p. 33) pour témoins, et assisté aux actes de résistance durant la seconde guerre mondiale ? les cernes des arbres sièges d'ombres, de pénombres, de nuit, de lumière, trouvent Zanzotto, angles de son corps et de sa psyché, de celle des italiens dont l'enthousiasme à la lecture de ce livre témoigne de l'actualité de la poésie.

 

" HYPERSONNET ... Qu'il n'y ait poids dans les rais qui de toi / émanent pour proscrire, signe / réduis-toi à toi-même, à tes arts fugaces... " (p. 87), la poésie de Zanzotto élude le superflu tout en préservant les mémoires intimes liées aux formes littéraires ancestrales, soit des matériaux jugés inconciliables devenus prospecteurs d'espaces nouveaux. Les formes usuelles branchées sur les dynamiques, les courants des fleuves, les vents, toutes les élaborations lexicales et grammaticales, les inventions des styles changent du tout au tout les emblèmes et les symboles. Le Galaté au bois avive les éléments des éléates et les histoires singulières des uns et des autres inscrites sous les ramures, les végétaux que les sens et la psyché de Zanzotto, cartographe d'étoiles futurées, décrypte et sonde.

 

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