Antonin Artaud, l’incandescent perpétuel, Olivier Penot-Lacassagne par Jacques Barbaut

Les Parutions

09 janv.
2023

Antonin Artaud, l’incandescent perpétuel, Olivier Penot-Lacassagne par Jacques Barbaut

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Antonin Artaud, l’incandescent perpétuel, Olivier Penot-Lacassagne

 

Artaud comme champ de bataille

 

 

Artaud — « tour à tour enseigne, étendard, porte-parole, prétexte, mot d’ordre, mot de passe, sésame, socle ou point d’application d’usages variés, complémentaires ou contradictoires » (p. 11).

Artaud le jeune premier à la beauté irradiante contre Artaud le suicidé de la société.

Artaud comme enjeu de pouvoir, objet de manipulation, fonctionnant ici comme point de ralliement et là comme signe d’intimidation.

Artaud récupéré, « instrumentalisé au service d’une expérience dite révolutionnaire », annexé, assujetti à tel(le) ou tel(le) école, chapelle, mouvement, groupuscule...

Antonin écartelé, tiraillé à hue et à dia — corps comme texte morcelés, disjecta membra. Artaud fracturé, disséminé ; Artaud éparpillé, déconstruit.

Artaud déchiré entre ses contempteurs et ses thuriféraires.

Artaud contre lui-même, avec ses retournements, ses reprises, ses voltes-faces, se reniant, se corrigeant, se contredisant. Plasticité d’une œuvre en perpétuelle recomposition…

Artaud, « homme-théâtre », confronté à Adamov, réservé, à Ionesco, le récusant, à Genet et Beckett, récalcitrants... Le théâtre de la cruauté contre le théâtre de l’absurde, l’anti-théâtre, le nouveau théâtre, le jeune théâtre...

Artaud contre Brecht. « Poétique ou Politique ? ». Le Théâtre et son double vs Le Petit Organon.

Artaud vs Breton, Mômo contre Dédé, le Maudit contre le Pape, le réfractaire contre celui qui, momentanément, adhéra au PCF.

L’Artaud de Blanchot contre l’Artaud de Derrida.

Artaud le Mômo, bon pour les électrochocs, ou Artaud-le-Schizo pour les lignes de fuite de la schizo-analyse (le CsO de D&G.).

Artaud christique contre Artaud démoniaque. Artaud mystique contre Artaud nihiliste. Artaud sert-à-tout.

L’épopée de la publication aventureuse — différée, débattue, attaquée — des écrits d’Artaud : soit la trentaine de volumes des Œuvres complètes parus sous la direction de Paule Thévenin (« Une existence hantée par lui », « comme si Antonin Artaud le disait à voix haute »), édition contestée — reconstruction, refonte, réécriture parfois des Cahiers de Rodez, d’Ivry, de Suppôts et Supplications — par la famille (forcément incompétente et « dégénérée ») et autres « exécuteurs » (sic) testamentaires, le neveu Serge Malausséna en tête, empruntant la voie judiciaire ; puis lesdites « Œuvres complètes » contre le « Quarto » (2004, près de 1 800 pages), présenté et annoté par Évelyne Grossman.

Artaud réactionnaire contre Artaud-68.

Artaud le raté ? Artaud l’inspiré ? Artaud comme machine de guerre.

Artaud utilisé — coups de force, appropriations et approximations, captations d’héritage, symbolique ou réel —, intégré dans des familles (de pensée), des parentés (bio) et des voisinages.

Artaud outil stratégique — le nom, le signe —, enjeu des revues des années de l’avant-garde : Change comme anti-Tel Quel, TXT par-dessus le marché.

Puis Christian Prigent — « Mais Artaud, c’est aussi le “ discours sur Artau” » — en ses écrits critiques (La Langue et ses monstres, Ceux qui merdRent, Une erreur de la nature, les titres parlent d’eux-mêmes), et Jean-Pierre Verheggen en son « hard poétique », Artaud Rimbur.

 

***

 

Il y eut un homme singulier, « anomal », et son œuvre qui ne l’est pas moins, puis la surabondante réception critique — entre incrédulité et sidération, résistance et foudroiement — qui l’accueillit ; il y a enfin cet essai (littérature tierce), étrangement genré « roman critique », dense, ultra serré, hyper informé, chronologique, parfois répétitif, bourré de noms propres jusqu’à la gueule, fort de ses notes de bas de page référençant chaque mot guillemeté, qui résume, retrace, rend compte des réceptions de l’œuvre.

« La portée de ce nom est objet de convoitise. Plurielle, spectrale, cette portée désigne tout à la fois son importance (politique, poétique, théâtrale), sa descendance (engeance, disciples, suiveurs, rejetons, bâtards), sa longévité (prolongée par sa lente progression éditoriale), son retentissement (jusqu’où porte-t-il ? qu’apporte-t-il ? qu’emporte-t-il sur son passage ? que met-il en lumière ? que relègue-t-il dans l’oubli ?).

Féconde polysémie… » (110)

La parole que je rends au principal intéressé (cité — bien trop rarement — page 142, fin du chapitre III), pour un éclat de rire salutaire :

C’est que votre sperme est très bon,
m’a dit un jour
un flic du Dôme
qui se posait en connaisseur
et quand on est si bon
si bon, dame
on surpaye
son surnom.

Devant lequel s’inclinerait (page 143, en regard, exergue du chapitre IV), un Roland Barthes désarçonné, inhabituel, prêchant un paradoxal non-savoir :

« […] l’impossibilité de parler d’Artaud est à peu près unique ; Artaud est ce qu’on appelle en philologie un hapax […] ».

 

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