Cahier de L’Herne Echenoz par Jacques Barbaut

Les Parutions

24 sept.
2022

Cahier de L’Herne Echenoz par Jacques Barbaut

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Cahier de L’Herne Echenoz

 

       C’est le dixième paragraphe du premier chapitre de Locus Solus, je cite :
« Le maître avait connu intimement le célèbre voyageur Échenoz, qui lors dune expédition africaine remontant à sa prime jeunesse était allé jusqu’à Tombouctou. »

       Cet extrait donné pour la raison que longtemps je crus que cet assemblage de onze lettres, « Jean Echenoz », était un pseudonyme, un patronyme trouvé dans le roman roussellien — mais il semblerait que en vérité non.

       Son nom, pourtant, intrigue, fascine, interroge.

       Ça se passe rue Bernard-Palissy, quelque temps après l’acceptation du Méridien de Greenwich, son premier roman, par celui qui devient de facto son éditeur (Jérôme Lindon un nom devenu un titre, comme Ravel —, écrit après la « disparition » de l’éditeur de Beckett et de Simon, et qui fait suite au roman intitulé Je men vais) :
       « Un jour qu’on se voit dans son bureau, il [J.L.] me fait une proposition surprenante : Dites-moi, est-ce que vous ne pensez pas que vous pourriez prendre un autre prénom, pour cette publication ? Je le regarde sans répondre. C’est que, dit-il, vous voyez, comment dirais-je, il y a une sorte de hiatus dans votre nom. Je ne dis toujours rien, j’admets qu’il n’a pas tort mais je me demande juste : Pierre Echenoz ? Jacques Echenoz ? Alfred Echenoz ? […] Mon prénom et mon nom sont ce qu’ils sont, je le sais bien, mais je crois que j’aimerais autant les garder. »

       C’est le quatrième texte du numéro — après deux, introductifs, de Johan Faerber, coordinateur et directeur de ce Cahier, et un inédit d’Echenoz, « J’arrive » —, il est signé William Marx, il est intitulé « Echenoz et le clinamen » ; ça devrait être du sérieux et c’est pourtant subtilement parodique, à vrai dire quasi pataphysique, c’est le début : « Insaisissable Echenoz. D’abord, on ne sait comment écrire son nom. On voudrait lui imposer l’accent aigu, à l’instar d’échevin. » Suivent des considérations sur la prononciation du nom, et sur la présence du « z » final qui fait halluciner bien des têtes.

       Pour enfoncer le clou, le bandeau d’éditeur qui agrémente le volume choisit de mettre en exergue une phrase de Lac (ce titre est-il assez laconique ?) : « Pour tuer le temps, il relut tous ses papiers didentité. » Pour mieux s’en convaincre ? Pour apprendre par cœur une identité d’emprunt comme dans un bon vieux roman d’espionnage ?

       Dans une lapidaire note autobiographique (une notice en quatre lignes) pour un dictionnaire des écrivains commandée par Jérôme Garcin, Echenoz lui-même brouillait les pistes en s’affirmant « né le 4 août 1946 à Valenciennes » ; vous pouvez vérifier, date et lieu de naissance sont faussés. J.E. précise en outre sous une photo : « Je suis né trois semaines après l’invention du poste à transistors » — peut-on être plus explicite ?

       « Un nom pareil, Lou Tausk, a tout l’air d’un pseudonyme [J.E. s’immisce ainsi dans Envoyée spéciale comme dans un trou de souris] mais tenons-nous-en là pour le moment, nous reviendrons sur ce point en temps utile. »

       Question onomastique, outre cette labilité, c’est l’un des bonheurs qu’offre le volume de nous permettre de retrouver ici et là X ou Y, tels « Jean-Pierre et Christian, autrement dit l’autruche et le lamantin, dans Envoyée spéciale » ou « Ermosthène et Apollodore, les gardes du corps de Louise Tourneur dans Vie de Gérard Fulmard » ou Bouvard et Pécuchet, dans le texte alerte de Laurent Demanze, « Usages dissidents du savoir ».

        Ils sont nombreux les auteurs, de Minuit ou d’ailleurs, à témoigner de leur admiration, leur enthousiasme, leurs émotions — réactions après l’une ou l’autre découverte echenozienne.

       Voici Laurent Mauvignier : « Jean Echenoz, c’est un peu le type agaçant à qui tout le monde voudrait ressembler ou se devrait de ressembler parce qu’il incarne, à un moment donné, une forme de perfection dans l’art d’écrire des romans mais aussi d’être romancier. Il incarne pour nous — et nul doute que pour ceux qui aujourd’hui se laissent tenter par l’aventure du roman ce soit toujours vrai — une sorte de surmoi collectif, une référence absolue à partir de laquelle on se décide ou pas à écrire des romans. »

       Didier da Silva restitue son vertige tandis qu’il lisait Ravel en un seul souffle, appuyé au balcon d’un second étage d’une librairie : « Au fil des pages me dominait, malgré mon émotion et mon émerveillement, un sentiment de jalousie féroce : c’était le livre que j’eusse aimé écrire, je trouvais presque déloyal qu’on m’eût brûlé la politesse. Il va de soi que seul Echenoz pouvait le faire, puisque c’est un autoportrait. »

       Julia Deck reconnaît sa dette : « Par un miracle que je ne m’explique toujours pas, l’étude approfondie puis l’assimilation des livres de Jean Echenoz m’avait permis d’écrire un roman qui me ressemblait bien plus que mon précédent manuscrit. […] Aujourd’hui, grâce à Jean Echenoz, j’ai publié quatre romans, bientôt cinq. […] Pour toutes ces possibilités offertes aux générations à venir autant que pour ses livres, je lui suis infiniment reconnaissante. »

       Maylis de Kerangal fait tourner un petit moulin : « Je note qu’il m’est toujours impossible de regarder une éolienne […] sans me demander si sa nacelle abrite une fille plus ou moins séquestrée, allongée sur un lit de camp, en train de lire le dictionnaire, le poste de radio branché sur Fip. […] Cette image était devenue pour moi celle du livre [Envoyée spéciale], voire, tant que j’y suis, celle de tout roman de Jean Echenoz : une éolienne qui tourne avec une fille cachée à l’intérieur. »

       Sinon, il y en a à peu près pour tous les goûts (qui sont dans la nature), trente-six contributeurs de toute espèce, lettres adressées à, éloges (« élégant », « discret »… en un mot « exemplaire ») et hommages, souvenirs de rencontres (P. Michon, J.-Chr. Bailly, P. Deville) ; pour quelques doctes, savants et universitaires (l’un se penche sur les verbes d’énonciation, un autre scrute les épithètes) ; pour les fétichistes friands de brouillons, notes d’hôtel, traces de voyage et photos de notre ami au lycée, en goguette, à Séville, à Canton ; pour les simples lecteurs amateurs, qui y trouveront quelques raretés, dont « Fragments de déserts et de culture », de Georges Perec, dédié à Denis Roche (qui cite Le Méridien de Gr.), de belles errances inspirées, musicale (G. Titus-Carmel) ou géographique tropisme aquitain (Fl. Delay) , un echenozien « Pourquoi j’ai pas fait poète » — « Pas fait de poésie pour navoir pas à la porter, valise trop lourde, préféré juste un bagage à main plus maniable pour passer deux trois trucs en douce à la douane, rien à déclarer, contrebande ma foi pourquoi pas. Déjà que le roman pèse, alors imaginez la poésie » , ou inédits, dont une liste de différentes variétés de plantes caractéristiques de la flore malaise (archive) et « Baobab », clôturant le volume, soit un texte instaurant une communication raisonnée, interspécifique, avec les arbres — peuplier, mélèze et autres essences —, se souvenant sans doute que l’aventurier Échenoz de Locus Solus « posséda[it] sur la botanique les notions quexigeait sa profession ».

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