Éric Villeneuve, Tache jaune, Monochrome bleu, sorte de blanc (2) par Véronique Vassiliou

Les Parutions

14 juin
2022

Éric Villeneuve, Tache jaune, Monochrome bleu, sorte de blanc (2) par Véronique Vassiliou

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Éric Villeneuve, Tache jaune, Monochrome bleu, sorte de blanc

« Je sais que c’est toi ! »

 

Dois-je dire que j’attends les livres d’Éric Villeneuve ? Dois-je ajouter que je suis parfois d’une grande patience ?  Dois-je préciser que chacun de ses livres me surprend ? Rien ne m’y oblige donc je l’affirme : j’attends patiemment ses livres qui chaque fois, me surprennent.

Éric Villeneuve a écrit peu de livres sans pour autant peu écrire car il écrit chaque jour des débuts de romans (qu’on aimerait bien lire un jour). C’est donc un écrivain des commencements, des entames tel qu’il se décrit dans un entretien avec Alain Veinstein, d’écrivain des commencements ». Ce qu’il cherche, cet auteur que rien ne presse, c’est à écrire UN livre. Un livre hors temps.

Quand son entame se prolonge, il creuse une forme pour mieux la gauchir, il emprunte les codes d’un genre ordinaire pour mieux les esquiver. Son dernier livre paru, Aventures dans l'île de Juillet, était de l’ordre du roman initiatique, de la Robinsonnade.

Cette fois, dans Tache jaune/Monochrome bleu/Sorte de blanc - cinquième de la série après Grouge (1981), Le Morticien (1987), La lune seule (1996) et Aventures dans l'île de Juillet (2011) -  c’est le mode du conte, si désuet, qui est démonté, dévissé et remonté. Andersen y est convié. (L’auteur ?) le narrateur est allé sur ses traces. Le voyage, le dépaysement, le déplacement sont alors des moteurs produisant un « sentiment géographique » qui donne corps (volatile et abstrait) à un quelque chose hors-sol, délicatement littéraire : « Un petit royaume, pour ce que j’en devine. A l’écart des affaires du monde. »

Ce voyage se déroule à Odense, la ville de naissance d’Andersen et dans la rue Hans Jensens, un musée est dédié à l’écrivain. Des lieux suspendus dans l’espace de la page, sons bi-syllabiques abstraits une fois déracinés :

« Odense

Brohus

 Jensens »

Un Je s’ébauche, centaure enfantin, mi-homme mi-ciré jaune qui s’est (se serait ?) rendu (posé ?) sur place. La narration alors évolue volatile, en dérive délicate. Gonflement, étirement, dissolution, envol. Une écriture-nuage simple, subtile qui avance en circonvolutions conduisant le lecteur vers un ailleurs, un chaque fois ailleurs. Toujours un peu plus loin, en suspens. A l’instar du narrateur principal qui porte un ciré jaune dont les ailes se déploient lorsque le vent s’y engouffre.

Paradoxe, Éric Villeneuve, cet écrivain discret et sujet aux éclipses, semble écrire de biais des autobiographies. Était-ce lui qui portait ce ciré jaune, enfant ? Était-ce lui l’insignifiant de la fratrie, le « vilain petit canard », celui de la « chambre du fond » ? : « Dans les contes, on rencontre souvent des enfants « empêchés », victimes du plus discret des maléfices : celui de l’âge fixe, sorte de poison lent qui les empêche d’achever leur croissance, les cantonnant dans une occupation unique – les assignant, surtout, à une place qu’ils semblent devoir occuper toute leur vie.

Un maléfice jeté par le père de famille, en l’occurrence… »

Écriture et imaginaire sont ici de l’ordre de la survie. L’acte d’écrire est un vol plané sans atterrissage. Un vol qui permet de s’échapper, de fuir ce qui est trop douloureux, de s’abstraire. De se rendre abstrait, « « Une figure », dis-je, quand il ne s’agit pour commencer que d’une tache de couleur. Une petite tache de bleu, dans le noir »

Dans ce texte en orbite, d’autres personnages côtoient le ciré jaune : Le monochrome bleu, « énigmatique créature de la chambre du fond », « essaim de pixels », « image chantée », « papier découpé » et l’apparition, une tache blanche, « la sorte de blanc », une sœur du ciré jaune.

Les mots y prennent formes, deviennent objets, se détachent et s’observent sous tous les angles. De l’abstraction à la matérialisation vécue : « comme si certains des mots prononcés par la sorte de blanc s’étaient incarnés, en retombant. Des mots matérialisés, je n’en ai jamais vus. »

Enfin, l’auteur serait la personnification d’écrire : « Peut-être y-a-t-il incompatibilité, à ses yeux, entre ce que je suis – ce que je suis vraiment, dépouillé de mon ciré jaune : une parole en mouvement, n’est-ce-pas ? une expression ? – et la sorte de blanc, un être en qui a été aboli, justement, la faculté de parler. ». Je ne serais qu’écrit.

Écrire, effacer, relater le vide, dire sans dire. Écrivain de l’exploration, Eric Villeneuve est aussi celui de l’ellipse. Celle d’une belle histoire en creux.

Lire Villeneuve, c’est rare et ça ne se rate pas.

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