Facéties, d'Éric Rondepierre par Christophe Stolowicki

Les Parutions

06 oct.
2023

Facéties, d'Éric Rondepierre par Christophe Stolowicki

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Facéties, d'Éric Rondepierre

Sujet : spectacle. Objet : littérature, quarante ans après – ce temps ramassé comme un fauve, comme un mégot. Par un artiste virevoltant à haut voltage, tenu d’improviser sur scène ou en colloque de présentation de ses photographies sans que sa tension ne relâche, celle de sa vie (« comme un acrobate dans un cirque, qui travaille sans filet »), celle à présent d’une écriture en équilibre sur son suspens.

 

Une vie dont les « acteurs [sont] formés rapidement sur le tas à coups de citations inconscientes d’elles-mêmes. » Ici, dégagés en porte-voix d’exergue, Sade et Montaigne.

 

Une « grimace à corps perdu » en guise de visage, quand « chaque visage est un transport en commun ». À la vie sur la brèche d’un artiste total débordant sur ses marges, dont le champ s’étend de la photographie au spectacle de rue (de rue piétonne à Rotterdam, où annoncer la représentation du soir dans un théâtre), prose y incluse, ses livres ont apporté le ciment organique.

 

Après Double feinte (2019), un faux traité d’esthétique où la fiction est retournée sur son objet et sur ses recettes, dans Facéties la société du spectacle est prise par les cheveux dans un train de réflexions qui l’explicite, la dénude. Performances ? Des improvisations tout en strates, en chorus que le souffle d’Éric Rondepierre ne lâche pas : « ce sont les choses qui commandent, elles dictent leur loi, astreintes au travail d’être, même si le salaire de nos yeux y participe. »  

 

Vrai sujet le temps : non celui d’horloge ni le temps perdu, mais le temps à temps. Artiste n’est plus ce qu’il était. Une Mimi, une Manon figuraient jadis ses pierres de touche, la langue y suffit. Quelques photographies, facéties. Une scie s’y associe. 

 

Éric Rondepierre (né en 1955) y enfonce en mémoire de sa jeunesse l’angle saillant d’une génération : « passant mon temps dans les cafés, à glander, à marcher dans Paris ou à faire semblant de me dépenser en drague ou en drogue […] j’avais pourtant dressé la carte d’un art de vivre qui semblait partagé par quelques individus. L’ivresse de la communauté nous avait touchés de son doigt lumineux […] Toute occasion était bonne pour prendre un bain d’altérité. » En quarante ans l’écriture a opéré un retrait arrière toute : tout intériorité.  Aux forceps.

 

Un mot des images : la plus grimacière, autoportrait à Saint-Tropez à dix-huit ans, le rictus révulsé d’un affichant toutes ses dents et ses cernes les plus creusés dans un noir et blanc d’argentique majeur ; la plus emblématique, celle de couverture, d’un décapité posant cuisse très nue sceptre à la main, sa tête fichée au bout de cette pique royale.

 

Le spectacle remonté de la scène à l’écrit en reprises, rédemption, relevailles : celui dont, sans s’y détruire comme Rodanski, Éric Rondepierre est le spectracteur.  

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