L'archive e(s)t l'œuvre e(s)t l'archive de Christian Prigent par Bruno Fern

Les Parutions

19 déc.
2012

L'archive e(s)t l'œuvre e(s)t l'archive de Christian Prigent par Bruno Fern

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A l’occasion du dépôt d’archives personnelles à l’IMEC, Christian Prigent a rédigé cet opuscule dont l’intérêt est inversement proportionnel au nombre de pages.

Comme le titre l’annonce, l’auteur y explique en quoi son œuvre s’est principalement faite à partir des représentations les plus diverses (donc à l’opposé d’une quelconque « pureté » prétendument poétique) qui constituent l’essentiel de notre rapport au dit monde – du trivial au savant, de l’intime au commun, tout passe au mixeur de l’écriture : « Au fil des années j’ai accumulé le matériau constitutif de la « réalité » avec laquelle écrire est en lutte : lettres, photos de famille, cartes postales, coupures de presse, textes de toutes sortes (littéraires, mais aussi historiques, encyclopédiques, pornographiques, politiques).  Cette accumulation constitue les archives de ce qui a donné quelques livres.»  Plus précisément, l’œuvre correspond à la suite d’opérations qu’il détaille ici[1], impliquant que l’archive en fasse partie intégrante (ou plutôt intégrée, absorbée par une énergie omnivore, aussi brutale que sophistiquée), le produit fini (le livre) pouvant alors devenir à son tour une nouvelle source de recyclages. Bref, il s’agit de savoir comment, de ces lettres qui risquent souvent de rester mortes, tirer du vif.

Au passage, Prigent ne se contente pas d’évoquer certaines méthodes de son travail mais il les replace, avec une lucidité peu fréquente[2], dans le trajet qui fut le sien jusqu’à aujourd’hui. Il expose également pourquoi cet archivage présente à la fois des avantages – dont celui de permettre aux archives d’échapper « aux poubelles (ou à ces sortes de poubelles que sont la spéculation bibliophilique, la gestion des veuves abusives, la rapacité de la descendance ou la vertu inquiète des ayants-droit familiaux ») ! – et des pièges, notamment pour tous ceux qui chercheraient à réduire l’œuvre à la somme des différentes étapes de sa genèse, autrement dit à privilégier le démontage des ressorts au détriment de la dynamique qu’ils engendrent ou bien encore à évaluer sa « justesse » à l’aune d’un supposé degré d’authenticité de ses matériaux de départ – alors même que la « réalité » documentaire  se trouve nécessairement dépassée par le « réel », cette expérience d’un manque irréductible dont l’écriture essaie de rendre compte à travers « des sortes d’équivalents formels modulés, rythmés, tracés, hiéroglyphiques : poétiques ».

Enfin, ce don est en accord avec le fait que le donateur affirme avoir toujours voulu inscrire son œuvre dans la « bibliothèque », plutôt du côté des rayons Villon-Rimbaud-Jarry que Lamartine-Char, bien sûr… Prigent, classique vivant.

 

 



[1] « Un livre tient pour autant qu’un phrasé, semblable à nul autre, y lie l’hétérogénéité du matériau documentaire (l’histoire, la culture, les affects, les fantasmes, les temps et les espaces divers) et la complexité formelle (intertextualité, montage, disparate générique, malaxage rythmique).»

[2] Ainsi, à propos de ses premiers livres, il n’hésite pas à écrire qu’ils correspondaient à une façon de faire « volontariste, crispée, lourdement démonstrative » – ce qui ne signifie aucun reniement de sa part quant aux lignes à tenir mais une capacité rare de renouvellement.

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