L’Humidité, une rétrospective par François Huglo

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18 mai
2022

L’Humidité, une rétrospective par François Huglo

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L’Humidité, une rétrospective

              

                Il fallait oser, il faut encore en ces temps politically  woke, en détournant la typographie utilisée par le quotidien L’Humanité, volatiliser le sérieux politique et prolétarien ! De décembre 1970 au printemps 1978, les 25 numéros de L’Humidité, « revue d’art et de poésie » créée par Jean-François Bory, ont comme l’écritl’écrit Jérôme Duwa dans son texte de présentation d’« une rétrospective , numéro hors série de 591, texte disponible sur le site d’Ent’revues, « mis entre parenthèses ces discours pour porte-voix propres aux déclarations ou déclamations » de la décennie post 68, pour « permettre à l’art / la poésie de ces années 70 de trouver le milieu adéquat pour se blottir ». Milieu humide, par référence à l’enfance de Bory en Asie, où « l’humidité persistante » est « comme un cinquième élément ». Duwa cite Bachelard (La Poétique de l’espace) : « N’habite avec intensité que celui qui a su se blottir ». Dès 1970, dans un livre publié chez Losfeld, Bory se situait « Post-Scriptum ». Tandis que Tel Quel se tournait « vers le maoïsme », il lançait en 1974, sous forme de sculpture, un tank « Littérature » tournant en dérision un « jeu de la guerre » et sa « rhétorique belliciste » que le « milieu poreux » de L’Humidité, sa « discrète "critique de la séparation" », désaffublait, comme dirait Ponge. Autre milieu humide, celui (gidien) de Paludes (1920), dont Duwa cite le début : « (…) si nous savons ce que nous voulions dire, nous ne savons pas si nous ne disions que cela. —On dit toujours plus que CELA ».

 

            La revue « aspirait à se développer dans un espace à sa mesure », écrit Jérôme Duwa : les 750 feuillets de sa collection photocopiée des années 2000, le livre publié en 2012 par Laurent Cauwet, éditions Al Dante, l’exposition à l’Enseigne des Oudin, rue Martel à Paris, du 18 janvier au 5 mars 2022, ainsi qu’au centre Pompidou où une après-midi d’études lui était consacrée le 22 janvier 2022, enfin l’avatar le plus accessible, ce volume que nous avons la chance de tenir blotti entre nos mains, par où passe l’ « esprit frondeur et dilettante », esprit « de recherche » aussi, que saluait Jannick Thiroux, commissaire de l’exposition.

 

            N°1, décembre 1970 : le premier entretien publié avec Christian Boltanski, et le premier article dans une revue en France sur Vito Acconci, artiste américain à l’origine du Body art, avec Michel Journiac et Chris Burden. N°3, avril 1971 : des photos de la « grande orgie pour réveiller ce qu’il y a de mort au musée », première publication en France de l’artiste japonaise Kusana. N°4, juin 1971 : Ben (Benjamin Vautier), lié au mouvement Fluxus. Œuvres liées « à sa période d’appropriation caractérisée par ses signatures », écrit Jacques Donguy qui a rédigé les textes de présentation des artistes que nous citons dans ce paragraphe. Max Bense (1910-1990), philosophe, essayiste allemand : un texte inspiré par un voyage chez Ponge, dont il était proche. N°5, septembre 1971 : Manfred Mohr, artiste allemand, pionnier de l’art numérique. Takahashi Shohachiro (1933-2004), proche de Kitasono Katué, un des plus importants représentants de la poésie visuelle japonaise. N°6, novembre 1971 : Carlos Alberto Sitta, poète italien dont les photographies de bandes magnétiques sont contemporaines de leur utilisation dans des collages de Bernard Heidsieck. Carmelo Bene (1937-2002) : photos tirées de son film « Salomé » (1972). N°7, novembre 1971 : Jacques Charlier, artiste belge utilisant des photos professionnelles. Ray Johnson (USA), lié à Fluxus et pionnier du Mail art. Jochen Gerz, co-fondateur d’ « Agentzia » avec Jean-François Bory. N°8, janvier 1972 : Bernard Heidsieck, « Poème-partition B2 B3. Exorcisme ». N°9, été 1972 : Sarenco (1945-2017), poète lié au mouvement de la Poesia visiva, réalisateur de films, éditeur. N°10, décembre 1972 : Thierry Agullo, fers à chaussure, entre autres « objets qui n’ont plus cours », manifestant « l’usure de l’œuvre d’art » (Jérôme Duwa). N° 11, janvier 1973 : Michel Journiac, principal représentant de l’art corporel en France. N°12, avril 1973 : Jean-Claude Silbermann (1935), poète puis peintre dont la première exposition (1964) fut préfacée par André Breton. N°13, mai-juin 1973 : Gianni Bertini (1922-2010), peintre italien qui adhère au Mec-Art en 1965. N°14-15, mai-juin 1973 : Eugenio Miccini (1925-2007), fondateur en 1963, avec Lamberto Pignotti, du « groupe 70 » à Florence de Poesia visiva. Claude Viallat, artiste français, fondateur en 1969 de « Supports / Surfaces » avec Bioulès, Devade et Dezeuze. N°20, janvier 1974 : Gianna Pane (1939-1990), l’une des figures majeures du Body art. N°21, février 1974 : Hervé Fischer, co-créateur avec Fred Forest et Jean-Paul Thénot de l’art sociologique. Sur son essuie-mains « s’imprime la main qui arrête, comme à un poste de douane ». N°22, avril 1974 : l’un des rares textes littéraires d’Arman (1928-2005), membre fondateur du groupe des Nouveaux Réalistes avec Yves Klein, César, Martial Raysse. N°23, automne 1976 : Joan Rascaball, proche de l’art sociologique, présenté par Jacques Soulillou : « Farniente spéculatif ou qu’est-ce que la peinture abstraite ». Mieczyslaw Berman (1903-1975), artiste polonais, présenté par Danièle Boone, critique d’art. Avec des photos de collages où il ridiculise Goebbels. Roland Barthes (1915-1980) : graphies involontaires sur ses feuilles de brouillon ou à côté du téléphone. N°24, automne 1976 : Irène Schwartz, une page du journal « Le Monde » dont elle n’a gardé que les « e », et « Action II » où elle partage son corps moulé en chocolat. Un texte sur Niki de Saint Phalle par Pierre Restany avec qui Jean-François Bory a réalisé en 1983 un livre d’entretien, Pierre Restany, une vie dans l’art (éditions Ides et Calendes). Un article de Danièle Boone sur Hannah Höch (1889-1978), qui a participé au mouvement Dada à Berlin. Un entretien de Raymonde Arcier, artiste française très active dans le mouvement féministe, avec Jacques Donguy. « Les mises en scène d’Erika Magdalinski », artiste née en Allemagne de l’Est qui vit en France depuis 1968, par Christian Dupavillon. N°25, printemps 1978 : Jean-François Bory par Jacques Lepage et par Bernard Noël. L’un des premiers articles sur Pascal Quignard, qui s’entretient avec Benoit Anelisseau : « les livres ne sont pas dans les bibliothèques. Et les bibliothèques ne sont pas où elles sont situées ». Les livres sont rangés « dans les corps qui les lisent ». Comment mieux décrire une revue où se blottir ?

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