L. Etchart, Tupamadre  par Nathalie Quintane

Les Parutions

19 mai
2023

L. Etchart, Tupamadre  par Nathalie Quintane

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L. Etchart, Tupamadre 

C’est un livre bourré d’attentats à la langue et qui se lit d’une traite. Pas d’apostrophe, presque pas d’accents, des coquillettes, des coquilles, erreurs naguère nommées fautes de français, comme là : 

 

Mon frere je le dessine avec ses longs cheuveux noirs et sa tete de rien et une guitare.  

 

Un récit d’enfance débordé par la force de la vie et la force de la mort — les deux ; vie et mort de la mère. 

La petite devient grande mais ne lâche pas la langue qu’elle s’est faite et qui, par ses lacunes, ses manques, ses trouées, ses embardées, l’a faite en mesure de dire jusqu’au bout : jusqu’au bout de la description déchirante du corps malade, du corps torturé par le cancer après avoir été torturé par la dictature en place en Uruguay de 1973 à 1984. C’est là qu’est le titre, Tupamadre, valise portant à la fois les Tupamaros, mouvement de guérilla urbaine inspiré par la révolution cubaine auquel ont appartenu les parents exilés, et la putamadre, qui inscrit à la fois la mère et la violence offensive et défensive de la fabrique poétique en tête du livre — et son e(a)ncrage populaire. 

 

Etchart tient tous les bouts (le politique, l’ordinaire, le genre, l’autobiographie…) sans qu’aucun jamais ne porte drapeau. Les sorties explicitement politiques, comme ici, sont rares, et toujours liées à la vie quotidienne :

 

En bas son nom Liber Tupac. 

Et en bas je dessine Liber Hernandez, l ami de ma mere qui s est fait tuer par un groupe de chasseurs de Tupamaros qui s appelait L escouade de la mort. Je le dessine par terre, brulé par des cigarretes et coupé et saiñant de partout. A cote je dessine Tupac Amaru, le gros lider de la revolution anti coloniale. Je dessine aussi sa mort, quand les colons lui ont atache chacun de ses membres a un cheval diférent et l ont cassé en morceaux et aussi lui ont coupe la langue. 

 

Ce que ses parents n’ont pu lui dire — la clandestinité — passe admirablement dans ces quelques lignes du début : 

 

J ai une fascination avec les trucs petits. Plus c est petit mieux c est. Ca peut se cacher. Persone sait que c est la. Ca se perd tres facilement donc faut developer des stratégies pour bien savoir ou c est. Le metre dans une petite boite par exemple (…) Le regarder, le prendre dans ses main, lui inventer des histoires. C est la qu est toute la tendresse de l afaire. 

 

Etchart ne touche pas à la syntaxe mais à l’ordinaire du français, son orthographe, pour le déscolariser. On pense au meilleur livre de Monique Wittig, L’opoponax, publié en 1964 (l’enfance, la prise à partie grammaticale), sans la guerre féministe/lesbienne (mais quelle guerre après des parents Tupamaros ?), expédiée par un Je suis une gouine basique, au détour d’une phrase. On pense aussi, bien sûr, au travail de Kati Molnar dans Kantaje (1996), qui posa, elle, une bombe à fragmentation. Tupamadre n’est pas pensé comme un « cheval de Troie » de(dans) la littérature (l’ambitieuse conception de Wittig) : pour cela, il fallait que la littérature soit « souveraine » en France, ce qu’elle n’est plus. Enfin rendue sur terre, l’histoire basique et bouleversée d’Etchart est tout simplement ce qu’il y a de mieux en ce moment dans l’ordre du récit. 

 

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