Lève bas-ventre de Gertrude Stein par Éric Houser

Les Parutions

06 févr.
2014

Lève bas-ventre de Gertrude Stein par Éric Houser

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Défense d’un titre

 

Christophe Lamiot Enos aura sans doute été charmé par le billet assassin de la Quinzaine Littéraire, qu’un journaliste a consacré à surtout démolir le choix qu’il a fait de traduire Lifting Belly par Lève bas-ventre. L’auteur de ce billet se garde bien de proposer une alternative. Non, il fait ce que la plupart font : piétiner ce qu’un autre fait, d’abord parce qu’ils sont incapables de le faire eux-mêmes. Ce sont les joies de la critique, rien de bien nouveau ni de très grave. Quant à moi, j’aimerais à travers la défense d’un titre rendre hommage au choix du traducteur, assumé et poétiquement argumenté dans une très intéressante note à la fin du livre. Et l’on comprend vite qu’il ne s’agit pas seulement du titre, que tout l’écrit de Gertrude Stein diffuse, diffracte, dissémine. Fait jouer comme un élément matriciel, qui en quelque sorte génère tout le poème en en jouant. Un poème d’amour, un poème sexuel. Au fond, critiquer l’option de Christophe Lamiot Enos, comme le fait ce journaliste, cela revient à valoriser sans le dire une norme de bienséance, de bon goût, de correction, qui me semble bien loin du propos de l’Américaine. Qu’est-ce qui gêne dans lève bas-ventre ? Ce n’est certainement pas lève, ni ventre. C’est bas-ventre, autrement dit la zone interdite, la zone des organes génitaux et du plaisir (plaisir sexuel et plaisir à écrire). Le traducteur n’a pas tiré sa trouvaille de son chapeau, en agitant des bouts de papier lexicaux. C’est l’aboutissement d’un processus, le point final de son travail, qui s’est étalé dit-il sur plus d’une année. Le temps qu’a duré pour lui la fréquentation intime et empathique de cette œuvre, exceptionnelle. Car il faut dire que le livre de Gertrude Stein, et la possibilité de le lire en continu, et en français, c’est un événement. Toute l’œuvre de Stein est un hapax, et Lifting Belly, un hapax dans le hapax ! Et, chose remarquable, c’est un livre qui malgré les apparences peut être lu par n’importe qui. J’ai fait le test. C’est presque de la chanson, de la chansonnette. Cru, rythmé, enlevé, enfantin et sublime. L’obstacle du sens (le supposé obstacle), opposé par les dévots du sens, qui peut aussi bien être brandi pour toute la production des grands mystiques, tout lecteur (toute lectrice) réel, c’est-à-dire amoureux, de ce texte, sait parfaitement qu’il ne vaut pas cher. Il le sait, et c’est probablement parce qu’il ne peut l’expliquer qu’il le sait. À l’heure où l’on s’interroge gravement sur le genre, sur l’identité, et autres grands et gros thèmes, on ne peut qu’être frappé par la liberté (incroyable pour l’époque, mais je dirais encore plus incroyable de nos jours) dont a fait preuve Gertrude Stein en l’écrivant.

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