Ne jamais en finir d'Elisabeth Morcellet par Jean-Marc Baillieu

Les Parutions

08 févr.
2020

Ne jamais en finir d'Elisabeth Morcellet par Jean-Marc Baillieu

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Des actes de la vie non courante, par exemple accompagner une urne funéraire pour aller disperser des cendres sur une île, un lieu natal, d’aucuns d’entre nous ont accompli ce singulier voyage, et c’est le cas de l’auteur de ce livre pour les cendres de Walter, « papa Walter », géniteur de Calum avec qui Elisabeth vit depuis quelques années une véritable histoire d’amour. On est ici pour l’essentiel en 2009 à Edimbourg où Agnès, « maman Agnès » veuve de Walter et mère de Calum, vit ses derniers mois, ses derniers jours, heureusement pour elle en présence de son fils et d’Elisabeth (née en 1957), temporairement exilés là à cette fin. 

C’est ici la trame, non d’un roman, mais d’un récit-journal poétique fait de courtes séquences en prose dont les titres balisent utilement le chemin de lecture, subtilement augmenté de fragments de dialogue (justifiés à droite) et de courts poèmes (justifiés au centre) fantasmant via le verbe un Moyen-Age (avec touches de chevalerie autofictionnelle) liant déjà Ecosse et France. Ce recours au Moyen-Age n’est pas gratuit car le patronyme « Fraser » de Calum et de ses parents provient probablement de « Frezel » issu de La Frézelière en Anjou, et il y aurait déjà eu exil au XIIème siècle, et cela laisse des traces dans la langue, non pas l’anglais classique ou courant, mais celle qui, en Ecosse, écrit par exemple : « An ni chi na big, ‘s e ni na big » (« Ce que les petits voient, les petits le font »). Quelques phrases de l’Auld Alliance figurent (avec traduction anglaise) dans le récit, de même que des bribes et allusions à notre Ancien français. Ce n’est pas là le moindre mérite de cet ouvrage que la plurivocalité maîtrisée par la narratrice qui, avec une concise densité, met ainsi en scène différentes instances, différents niveaux de langue, un tressage maîtrisé, une forme composite usant à bon escient de la ressource typographique sans jamais oublier le fond d’un récit empreint d’humanité, de sensibilité et d’une grande attention aux gens, aux choses, aux instants en ne réfutant pas l’importance de tout acte même mineur de nos vies. Cette attention vaut aussi pour le lectorat interpellé en italiques par quelques judicieuses didascalies.

Ainsi attachant est ce livre qui n’est surtout pas un énième roman linéaire et qui peut être lu « sans  désemparer » (comme disent nos amis d’Outre-Quièvrain) même s’il faut s’accommoder au pacte proposé par E. Morcellet, apprivoiser (sans difficulté pour un lecteur curieux) une singulière alliance fond-forme tout à fait adaptée au propos et à sa narratrice, déjà connue comme l’artiste-performeuse qui, en 1987, avait émis ce slogan : « La vie est un art, soyons des artistes ! ».

 

 

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