Sonde de Ida Börjel par Éric Houser

Les Parutions

04 janv.
2011

Sonde de Ida Börjel par Éric Houser

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Ida Börjel, la stratégie du hérisson



Il y aurait dans la modernité, définissant un ethos possible pour la littérature, quelque chose que l'on pourrait nommer «lutte contre la métaphore», le terme de métaphore désignant, plus qu'une figure, un régime (comme dans «ancien régime»). Ce régime, il n'est pas possible de le révoquer d'un geste unique et définitif, il s'agit plutôt de le travailler de l'intérieur, de l'explorer, de le faire bouger selon la stratégie opportune qui est, chaque fois, à inventer.
«Un hérisson renifle dans les fourrés. Le hérisson est un maître. Cela fait deux millions d'années qu'il vit sous la même forme sur terre. Il a désormais un nouvel ennemi, la voiture, mais il subsiste, rescapé silencieux et reniflant. Trop intègre pour convenir au symbole. Sans se laisser piéger dans un quelconque épaississant métaphorique» (p. 75).
Sonde, d'Ida Börjel, fait partie de ces livres qui ne se donnent pas d'emblée, de ces livres qu'il faut traverser plusieurs fois avant d'en percevoir la logique. Il se présente comme un assemblage de sept parties, qui ont chacune une unité forte et sont chacune précédée d'un titre : Planismère, Pourquoi nous tournons en rond quand nous sommes égarés, Une histoire d'amour, Tours de taille européens, Le dilemme du disciple, Ton œil sent la terre, Stein contre Ida contre Ida contre Stein. Parler de thème ou de thématique à leur propos ne serait pas tellement adéquat, car cela donnerait l'illusion d'une position de surplomb que, me semble-t-il, Ida Börjel cherche à éviter à tout prix. Mieux vaut les considérer comme des objets d'écriture dont, ainsi que l'observe Esther Sermage (qui a traduit le livre du suédois, on pourrait presque dire «translittéré»), la forme se confond parfois avec le référent. Les archétypes nationaux, la latéralisation dans l'espace, la relation à la mère... : il n'est pas faux qu'il en soit question dans ces textes, mais cette présentation, en restant au niveau métaphorique, ne rend pas compte de l'écriture réelle. Laquelle, souligne Esther Sermage, si elle ne dédaigne pas les outils stylistiques classiques de la poésie, «puise également dans d'autres sphères textuelles telles que le dictionnaire, la commande informatique, le langage juridique, le manuel, l'entretien téléphonique, etc.»Lorsque j'ai tapé «Planismère», le logiciel Word a aussitôt affecté ce mot d'un serpentin soulignant rouge : c'est normal, il n'existe pas dans le lexique ! C'est une géniale transposition en français de «Moderkarta», néologisme composé à partir de «Moder-» : «Mère», et «-karta» : «carte» ou «plan». Les explications données par Esther Sermage, du choix de «Planismère» (plutôt que «Matrisphère» ou «Mappemère»), sont très convaincantes, comme l'ensemble de sa postface qui est une passionnante plongée dans la traduction de Sonde. En plus de cette postface traductologique, le livre d'Ida Börjel est accompagné d'un texte dense (et drôle) de Nathalie Quintane (Pluie de girofles), en écho à la dernière partie du livre et à Gertrude Stein, qu'on lira aussi avec grand plaisir.
«Le texte dit toujours oui. Le non du lecteur est dit en l'air» (Stein contre Ida contre Ida contre Stein). Et son oui ? Je l'aimerais au moins, pour Sonde, sonore, clair et articulé.
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