Un sens facétieux de Pascal Poyet par Bruno Fern

Les Parutions

19 juin
2012

Un sens facétieux de Pascal Poyet par Bruno Fern

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D’une résidence à Tanger en 2008, Pascal Poyet a tiré ce petit livre, à la fois dense et léger, où tout commence par un espace vide dans la ville susdite, entre démolition et reconstruction, qui constituerait une scène en donnant le sentiment qu’il pourrait y arriver quelque chose à condition d’être suffisamment attentif – de même que, selon Zukofsky, « il n’y a aucun mot que vous ne puissiez utiliser si vous avez assez en vous pour en faire quelque chose1 ». Cette découverte est suivie d’une autre quand, dans une phrase écrite plusieurs mois auparavant, l’auteur décèle un sens qu’il n’y avait pas mis, du moins « pas intentionnellement ». De ces deux points de surgissement découle une suite de considérations sur les rapports entre objets et lieux, où l’on peut lire des discours changeants suivant les circonstances, et sur les mots dont les diverses positions possibles dans la phrase font d’elle un « événement évanouissant », l’ensemble étant aussi savant (évoquant Barthes, Benveniste, Rey-Debove et d’autres encore) que concret (à travers les relations sémiotiques entre cuillère, tasse, crayon, soucoupe, etc.) et souvent non dénué d’humour :

« Est-ce que la précipitation a une incidence sur le discours des objets ? L’effet de surprise, l’intrusion (non seulement l’objet intrus), un coup de téléphone, sur sa lisibilité ? Peut-on le contredire ? Est-il possible de l’interrompre ? De lui couper la parole ? De lui répondre, tout simplement ? »

Par la suite, P. Poyet met en parallèle ses déplacements urbains et les variations sémantiques d’un mot au fur et à mesure que, s’éloignant de ce qui pourrait être considéré comme son centre, on en découvre des vues comparables à celles qu’offrent certaines cartes postales. Confrontant des notions de linguistique (telles que l’acception, la nomination ou l’usage des mots dits « vides » dans la langue chinoise) à son exploration progressive de Tanger (et, au-delà, à ce que peut signifier le fait de prétendre connaître une ville), il en vient à examiner les différentes facettes de l’emblématique verbe toucher2, le livre étant lui-même une preuve facétieuse de ce qu’il cherche à délimiter ; en effet, il faut noter qu’il ne s’agit pas ici d’une cogitation sur mais dans la représentation du sens, menée par un joueur (dé)plaçant ses pions jusqu’à ce que l’événement surgisse par ailleurs, texte ou autre, qui, malgré tout le souci d’organisation qu’on lui accorde, finit immanquablement par se dérober3.


1 Cité dans Ma haie (Un privé à Tanger II), Emmanuel Hocquard, P.O.L., 2001.
2 Du latin toccare ayant justement remplacé tangere – qui ne correspond pas à l’origine du nom de la ville dont il est question ici mais bon…
3 « […] ce qui, seulement et toujours, fait question c’est : quoi se rate dans l’usage de la langue ? » (J. Stéfan, in Po&sie, n° 2, 1977).
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