[FORER] par Marie-Noëlle Agniau

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

[FORER] par Marie-Noëlle Agniau

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Les mathématiques sont fondées sur 3 axiomes.

 

Premier axiome : Rimbaud n’a pas fini d’écrire Le bateau ivre.

Deuxième axiome : Nessos est une île.

Troisième axiome : l’appétit de ma bouche est rouge comme le vin.

 

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Les axiomes sont des propositions indémontrables. Elles sont le sol. Où faire éclore le monde. La maison. Où planter l’arbre. Quel arbre ? Le plus grand du monde. Le Général Sherman ? Non, Hypérion dont l’emplacement est tenu secret. Leur source est indomptable. Remonter le fleuve en dansant ne suffit pas.

Premier axiome : Rimbaud n’a pas fini d’écrire Le bateau ivre. Il n’a pas pu – à cause des morts aux yeux ouverts et des vivants aux yeux fermés.

Scolie – scolie des jardins : quelque chose qui tombe sur autre chose ne fait pas de bruit. Un plateau par exemple. Chargé des petits décors. Du sable dans un bocal – ramassé par toi sur la plage de Gâvres en terrain connu, militaire. Des graines de lavande dans une coupelle. Pour « graines » - j’ai dit « miettes ». Un livret de famille. Il faudrait un arbre généalogique complet. Des pieds à la tête. Par voie de père et de mère. De l’encre, des écritures chinoises. Paper cut in China. Un caillou blanc. Un caillou noir. Matériel de vote du poëte. Un bébé qui n’a plus faim. Et toute la neige qu’on espérait. La chaleur rose d’une lampe. 23 watts seulement pour entourer ta chambre d’une veilleuse.

Premier axiome : la maladie détruit l’âme plus facilement que le corps. Cela s’appelle « forer ». Ton âme est une peluche dont l’intérieur tout décousu s’en va. Ne reste que l’enveloppe. Et sa parure. S’y attrape parfois à pleines mains un rire de petite fille. Mais te voilà posée. Chose qu’on déplace et puis replace à la manière des grandes poupées.

Scolie – scolie des jardins : les propositions vont s’alourdir de corps qui poussent, infiniment.

 

 

Deuxième axiome : Nessos est une île dont le verbe n’existe pas. On ne dit pas « îler ». Mais devenir – faire corps avec. L’île de Nessos est une île. Le nombre retombe toujours sur ses pattes. J’ai ouï dire la tour de Babel dans un café à 17 heures en commandant une crêpe au sucre.

Premier axiome : faire entrer la vie dans tout le texte. Ton âme est une poupée vaudou. La douleur y entre par une aiguille.

Troisième axiome : je compte les jours sans le vin sur ma bouche. Je suis un prisonnier à qui la soif est refusée. À sa place – il y a du sable et ce pays est désertique. Ma chair est vide et ronde. Je fais des petits traits // noir sur blanc verticaux. Un code barre rien qu’à moi. Je rêve de boire des petits ballons. À la place – rocailles.

Scolie – scolie des jardins : les bétaillères loupent le virage. Comme les bêtes menées à l’abattoir. Elles chient dehors entre les trous. Reste plus qu’à nettoyer le sol glissant de gros poids-lourds. Ce jour-là – il y a du vent – & du ciel bleu. Je double en fredonnant – museau contre museau. Sont-ce les vents violents qui font tenir Neptune ?

[Nous irons toujours par 3 fonder l’arithmétique.

Rimbaud, Verlaine et moi. Les petits bébés, les morts.]

Deuxième axiome : il manque quelque chose à « foret ». Ce jour-là – toutes les forêts de France se sont soulevées. Envolées disparues. Les terres se sont tenues nues. Comme taches de maladie sur peau. Une épilation forcée.

Premier axiome : je suis l’oiseau de mauvais augure – un baigneur de petite fille sur le bord de l’autoroute à plat ventre sur le sol et sa layette d’hiver. Les bolides foncent sur la bande d’arrêt d’urgence.

Rose & bleu.

 

 

Troisième axiome : soiffer. Je suis le vivant phénomène. En buvant – je suis l’arbre et la ronce qui le tue. L’eau que j’avale est rouge. Et fait de moi un monstre. Je suis l’arbre à deux têtes et veux sans pouvoir. Ce qui s’élance n’a pas le temps d’être seul. Les ronces s’entortillent depuis la source et me rattrapent. Elles sont la tortue et moi le lièvre. Je meurs de sécheresse quand je ne bois pas. Mes veines craquent et me cousent à la terre. Qui rampe dans le sang froid des brindilles ? Le corps constrictor.

 

Le commentaire de sitaudis.fr

Extrait, à paraître