Louise Brooks par Christian Jacomino

Les Poèmes et Fictions, poésie contemporaine

Louise Brooks par Christian Jacomino

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Les nuits d'hiver, il parcourait les routes de campagne sur sa motocyclette. Le froid rendait presque inconcevables ces courses dont nous parvenait le bruit pétaradant; puis, au matin, nous n'osions pas l'interroger. N. était le seul garçon du village à fréquenter ce que nous appelions le « Château »: à savoir un édifice de pierre grise qu'un excentrique industriel de la Ruhr avait fait édifier dans un style néo-gothique vraiment hideux et où son ultime descendant était venu se réfugier après la guerre puis quelques années passées dans les prisons de l'Est.
Ce qui attirait N. en ce lieu, chacun pouvait l'imaginer à sa guise. On parlait d'une 'salle de cinéma' capable d'accueillir un public de plus de cent personnes, dont le maître de maison, fervent admirateur de Louise Brooks, était l'unique spectateur quand N. ne se rendait pas à ses invitations. Mais ce qui nous intriguait le plus, c'étaient les voyages eux-mêmes: le froid sur son visage et sur ses mains crispées, les formes étranges dessinées par les arbres.
Dans mon demi-sommeil, je ne pouvais m'empêcher de rapprocher les lignes tordues des arbres dénudés, sous les branches desquels je le voyais filer, baissant la tête, de celles des routes qui sinuaient à flanc de collines; et ce simple rapprochement me procurait une félicité sans bornes, comme si j'eusse enfin résolu une énigme.
Le commentaire de sitaudis.fr (extraits de « Le bout du monde», à paraître)

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