Eric Pesty éditeur, interview

Les Incitations

05 nov.
2008

Eric Pesty éditeur, interview

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Pourquoi une petite maison de plus dans un village déjà bien encombré et relégué ?!


Au départ il y a un désir d'édition, une impulsion qui n'a pas réellement pris la mesure du champ. Le premier livre que j'ai « édité » était une concordance de la tétralogie de Claude Royet-Journoud publié à 23 exemplaires en 1999. Ensuite, il y a eu la revue issue (2001-2004) co-dirigée avec Eric Giraud et David Lespiau. Enfin le travail pendant une année pour les éditions Ivrea : à l'invitation de Jean Pietri j'ai collaboré à l'établissement et la publication de la traduction des åuvres de Tacite par Perrot d'Ablancourt, parue en 2004. Dans les trois cas il s'agissait, par la publication, de donner jour à un projet d'écriture, et corrélativement à une proposition de lecture spécifiques. La fondation de Eric Pesty Editeur naît dans ce contexte, mais là, évidemment, avec la conscience d'un certain champ où il fallait trouver à s'inscrire. De fait, l'espace que j'occupe avec ma maison d'édition se veut volontiers marginal. D'une part, je publie très peu (deux-trois titres par an) et d'autre part, je suis intéressé, en effet, par les marges de l'écriture poétique (essais, entretiens, carnets d'écrivain, journaux etc.). Je me sens proche, toutes choses égales par ailleurs, d'une éditrice comme Claire Paulhan ou alors du travail mené par Benoît Casas avec les éditions Nous. Donc proche d'éditeurs qui s'inscrivent dans un champ de publication très précis et, à l'intérieur de ce champ, font un travail singulier, très personnel. Après, évidemment, la question est de rencontrer un public. L'exiguïté de l'espace éditorial pourrait sembler difficilement conciliable avec la rencontre d'un lectorat. Mais à l'usage, je m'aperçois quand même que les lecteurs existent - grâce aussi au soutien et à l'enthousiasme de libraires militants - et que ces lecteurs sont prêts à découvrir des textes différents, parfois un peu atypiques ou déroutants.

Votre formation de luthier vous a sans doute donné le goût du bel objet : vos livres sont à la fois bon marché et très beaux ; comment avez-vous conçu et travaillé cette dimension du livre ?

La préoccupation de l'objet-livre est essentielle pour moi. J'y vois deux raisons immédiatement : d'une part, dans la masse des livres qui paraissent chaque année, il faut réussir à se singulariser si peu que ce soit. D'autre part, il faut faire face aux nouvelles technologies : pourquoi finalement publier un livre sous une forme traditionnelle ? on peut aussi bien proposer un PDF téléchargeable par le biais d'un site, comme le montre le projet publie.net. Pour moi, un livre est un espace mental spécifique qu'il faut inventer à chaque publication. Dans ce sens, je cherche à ce que le texte que j'édite ait une certaine exactitude par rapport au volume concret, matériel qu'est un livre. Pour chaque publication je tente de résoudre au plus juste une équation entre la nature du texte, le projet typographique et l'espace objectif du livre. Cela, je l'apprends et le comprends de mieux en mieux en travaillant avec Pierre Mréjen des Editions Harpo&; Pierre Mréjen me forme depuis maintenant six mois au métier de typographe. J'ai d'ailleurs l'impression de progresser beaucoup plus vite, quant à savoir ce qu'est un livre, en utilisant une linotype avec ses contraintes, son fonctionnement mécanique, en me familiarisant avec la métrique propre à la typographie, ou encore en préparant un plan d'imposition, qu'à travailler sur Express ou InDesign où rien n'est impossible, toute forme est toujours réalisable (on resserre l'espace entre les lettres si la ligne ne rentre pas dans le bloc typographique, et voilà tout). J'utilise bien sûr ces logiciels, mais je me méfie un peu de la liberté illimitée que semble offrir l'informatique.

La plupart des "petits éditeurs" présentent de nombreuses collections ; n'est-ce pas un peu risible ?!

Pour ma part, j'ai publié les premiers livres de ma maison d'édition sans me poser la question de différentes collections. Assez vite je me suis rendu compte, vu le temps que prenait l'élaboration d'un livre (le record est pour Oxbow-p. de Samuel Rochery qui a demandé un an et demi, entre la proposition de publication et la mise en place en librairie) ne permettait pas d'adhérer à une certaine vitesse, qui correspondrait au rythme de certaines écritures. J'ai donc décidé de fonder, en contrepoint aux livres plus volumineux (brochés) qui forment la colonne vertébrale de la maison d'édition, une collection de livres brefs (agrafés) qui permettra sans doute, dans l'avenir, une meilleure adhérence à ce qui est en train de s'écrire. Cette collection prend pour modèle la forme du chapbook américain, un objet un peu différent de ce qu'on appelle en France la micro-édition. Chapbook vient du mot « chapman », le colporteur. Mais j'aime aussi entendre dans le mot « chap » l'abréviation de chapitre. Les textes que je publie dans cette collection sont des chapitres adjoints à un livre ou des chapitres de livres en cours d'écriture. Le livre de Dorothée Volut rassemble des « petites proses » qui ponctuent un manuscrit en cours d'écriture ; le livre d'Emmanuel Fournier est une postface détachée, écrite après coup, à l'Infinitif des pensées ; le livre d'Anne Parian, un texte dont je suppose qu'il trouvera un prolongement dans l'écriture de l'auteur. Avec cette collection, je me sens particulièrement proche du très beau travail d'édition que peuvent faire Françoise Goria et Pascal Poyet chez Contrat maint ou, dans un autre registre, Olivier Domerg et Brigitte Palaggi chez Contre-pied.
Le commentaire de sitaudis.fr Nous avons beaucoup critiqué ici certaines petites entreprises dites de micro édition ; si nous soutenons le travail d'Eric Pesty, c'est parce qu'il se distingue des dites entreprises sur deux points importants : il n'est pas lui-même auteur et ses livres sont aussi réussis esthétiquement que durables dans le temps d'une bibliothèque.