Circonvolutions de Stéphane Sangral par Christian Désagulier

Les Parutions

12 sept.
2016

Circonvolutions de Stéphane Sangral par Christian Désagulier

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Autour de quoi Stéphane Sangral tourne-t-il, de circonvolutions en circonlocutions, ce quoi – ce coi - qu'il dénierait ?

 

A moins que pour l'admettre, le contenir, sinon le subsumer, faute de savoir quoi, il entrerait de la peur dans le cercle, pour la partager, c'est à dire opérer une division ?

 

Se bagarrer avec la tristesse dans ce ring, à la faire rebondir aux cordes, la crocheter, l'assommer, la sommer pour la soustraire ? Combattre le poème pour l'extraire du poème..

 

Car le poème advient quand le poème qui est pensée se pense et donc se nie, chose que Mallarmé qui a lu Hegel, que Stéphane Sangral a plus que lu, s'est incorporé, nous a apprise.. telle est la condition de possibilité du poème, si et seulement si il y a poème à la fin, c'est à dire quand le poème qui est pensée se pense et donc se nie etc.. après quoi Stéphane Sangral tourne en rond..

 

Façon de dire autrement les choses, dire au sens de formuler et façon d'autrement lire, que le poème à la fin nous délie, nous délit, et pas que la langue..

 

Trop de poètes confondent peurs et pleurs et jettent les fleurs avec les poignées de terre sur le cercueil qui et que contient le poème, RIP au bord avant de tomber dans le trou..



L'on traîne avec soi un cadavre roulé dans
un tapis, notre passé ; mais le fleuve où le
jeter est si loin, tout au bout de notre

                                                                  - Dans … -

futur...

- ...ce poème est roulé presque mort le
dehors de ce poème mort en... -

 

Dans
- ...dedans... -
le fleuve de ce livre a été jeté le
fait lourd accablant que rien n'y coule en dedans...

 

Poème écrit sur le tapis roulant du temps
lorsque s'y traîne lourd le cadavre du temps...

 

 

t

 

La question du taire est au centre des circonvolutions de Stéphane Sangral : comment faire poème de taire, de ce qui germe et nous vide en se nourrissant de soi..

 

Alors oui, si poème est paroles de zombie, et zombie ce à quoi le monde comme il est travaille à faire de nous, alors pourquoi en rajouter ?

 

Raison pour laquelle les poètes se croisent, c'est à dire tracent une croix sur ce qu'ils écrivent, dès toujours morts écrivant après des vivants, errent, saluent et aiment, ajoutent des signes plus.. autour de quoi Stéphane Sangral tourne-t-il ? De quoi a-t-il peur et trop de poètes en mal, c'est à dire qui souffrent, de n'avoir rien à ajouter, à faire addition ou se croiser ?

 

Au lieu de faire des commentaires, des « reportages universels » selon Mallarmé – dont chacun sait que leur but est de nous inhiber, de tristesse dirait Gilles Deleuze pour mieux nous téléguider Stéphane Sangral participe de ce travail de désenvoûtement dirait Artaud le mot mot - en usant des mêmes moyens pour les retourner contre lui.. un peu comme Christian Prigent, avec encore d’autres moyens : à chaque poète son idole cloutée et sa forme de tenailles..

 

Une solution est de faire du François Morellet – mort elle est - écrivant au néant comme avec des néons, celle de traduire poématiquement la lettre à Cazalis datée du 14 mai 1867 (à tous égards, sa Correspondance est le grand œuvre de Mallarmé..), ainsi notre Stéphane Sangral :

 

J'ai fini ce poème... Et je me suis senti
exister... Et je n'ai pas supporté... Peut-être
par manque d'habitude... Et je l'ai effacé...

 

Ceci est un poème absent...

 

Et j'ai senti,
par cet effacement factice, que peut-être
la mort, trop vraie, pouvait par les mots s'effacer...

 

 

i



Une autre solution consiste à ne pas avoir peur de dire que pour qu'il y ait du lait, il faut qu'à la mère on ait kidnappé son petit et qu'elle le croit mort..

 

Ce texte est un secret ne se révélant que
pour se dissimuler dans la révélation
- sang qui nourrit ce texte en chaque lettre – que
ce texte est un secret ne se révélant que
pour se dissimuler dans la révélation
- sans qui ce texte meurt jusqu'au [sans texte] – que
ce texte est un secret ne se révélant que
pour se dissimuler dans la révélation
que jusqu'au sang ce texte clos se mord la queue...

 

Mort pour les meuglements comme autant de meubles lourds de malheur que la mère pousse des nuits durant – nuits que la rotation de la terre produit, qui sont produits de circonvolutions sans lesquelles ni lune, étoiles ni voie lactée..

 

Mort pour les bruits de succion du veau qui prend nos doigts pour les pis de sa mère, ils ont même nombre - prennent la trahison du seau de colostrum pour de l'amour éternel - et de sentir alors la puissance de meugle, d'expectoration à s'arracher le corps et la puissance de langue, de succions à perler le sang du poème..

 

Car tout poème travaille à sa négation, mais fait extase, délie, dans le moment où il se nie - se délit - est délivrance comme on dit de l'acte de mettre au monde et aussi de le quitter : poème ce qui se passe entre les deux..

 

C'est le mandat du poète quand il perd les eaux que de mettre sa pensée en conformité avec ses actes, c'est à dire avec ses poèmes qui sont des actes de naissance et de décès du poème, déclaration de naissance au moment de venir au monde comme au moment de le quitter qui est la seconde et dernière naissance, le même avortement : poème ne peut pas être autrement..

 

Et si le poète survit, c'est la tête ovalisée des forceps de penser d'entre les vivants-morts qui font la danse du centre, s’égosillent autour d'un centre de mercure s'agissant de Stéphane Sangral..

 

Il y a bien cette trop longue préface qui aurait été plus justement à sa place en postface, laquelle voudrait mettre les points sur les i qui pourtant sont bien tous à leur place calculée dans le poème, qu’il y a au-delà de Mallarmé, pour sûr, de la déconstruction à la Derrida, qui sait..

 

Mais pourquoi toutes ces affèteries typographiques, je n’ai pas compris.. N’est pas Michel Butor qui veut qui a le Génie des lieux et de la mesure, fut-ce celui de la démesure, centre inclus.. Ni Michaël Batalla dans le genre.. (sacrées machines à traitement de texte..)

 

Pourquoi donc laisser dépasser les fils du bâti, des morceaux de patron qui demeurent encore surpiqués avec les coutures (le patron c’est Mallarmé), cet illisible chapitre au corps infinitésimal autrement qu’à la loupe du chapitre « de +∞ à +∞ » : nous avons bien lu qu’il est souvent question d’infini.. Et pourquoi donc ces changements intempestifs de police et de corps et ce gâchis de très nombreuses pages blanches aux seulement … en bas de pages droites qui rappellent furieusement les hautes et basses heures de la poésie minimaliste quand le poème de Stéphane Sangral en est l’antithèse presque excessivement..

 

Il y a aussi qui n'ajoute ni ne retranche, chacune des lettres de l'exergue imprimée en petit au long du livre en bas de pages à gauches  s, o, u, s, l, etc.., un concentré de Livre..

 

sous la forme l'absence s'enfle et vient le soir et l'azur épuisé jusqu'au bout du miroir…

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