Embâcle de Sarah Bahr

Les Parutions

25 nov.
2015

Embâcle de Sarah Bahr

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Ce livre écrit en français par une jeune artiste allemande (performances, théâtre, peintures) témoigne d'une étonnante maîtrise des ressources de la langue orale. Le premier des textes, introduit comme les suivants par un prénom, est aussi le plus court, six lignes qui se terminent par « Comprends rien ». Ce pourrait être une injonction au lecteur en même temps que l'hébétude d'un sujet qui s'appelle Lydie où l'on peut entendre homophoniquement, une autre double injonction : LIS, DIS !
Je lis et dis qu'Embâcle est un livre à lire d'urgence, lisez et dites cet extrait des pages 78-79.

 

 

                                                             Nadège

 

 

 

 

 

 

 

Bien sûr que l’on veut absolument voir le déchaînement, l’excès. C’est vrai que l’on veut le voir, mais on veut aussi l’ignorer au maximum, on veut le cacher absolument à tout prix, en même temps. On va vouloir l’avoir exactement sous les yeux, exactement sous observation, bien au centre, visible pour tous et permis aux mineurs. On va vouloir le garder, l’archiver, si possible, pour pouvoir le ressortir après, cet excès, et l’observer de nouveau et savoir exactement ce qu’il ira faire aussi et jusqu’où il ira vraiment, parce qu’on n’en a pas encore assez vu, en vérité. On voudra savoir dans quelle mesure, sur quelle étendue temporelle et avec quel niveau d’endurance et d’insistance il se déploiera et quel impact il aura vraiment sur nous. On voudra voir comment il se comporte par rapport à l’ensemble, parce qu’on s’y est attendu, et on l’a bien mis en place avant de l’oublier ou même de le cacher de tout le monde, au vu et au su de tous. Nous sommes tous très curieux, combien de temps pourra-t-il durer, combien de temps durera-t-il, finalement, cet excès qu’on aime? Et pour quelle raison? La plupart du temps ça surgit quand il y a quelque chose. Il doit y avoir quelque chose pour que ça survienne. Il y a tout le temps quelque chose mais on n’y fait pas attention. Ça surgit quand il y a quelque chose à quoi on fait attention, ou alors ça vient parce qu’il se passe quelque chose, il se passe quelque chose tout le temps, alors attention. Et là, on s’aperçoit tout d’un coup, très précisément, où ça se passe et comment, et combien de temps déjà, et on sait même ce qui en ressortira éventuellement ensuite, et encore après ça, et ainsi de suite. Préparez-vous en tout cas à ce que tout à coup vous alliez voir comme ça se passe, et comment c’est. Et comment c’est, le tout comme il est, voilà ce qui est et ce que personne ne sait. Et est-ce qu’il voit tout, lui, au fait, le pape ? Qu’est-ce qu’il voit, le pape, quand il monte sur son balcon? Est-ce qu’il voit l’ensemble? Est-ce qu’il voit la plage au loin ou quoi ? Et qu’est-ce qu’il voit, quand il touche un mur? Il voit que ses colombes se font déchiqueter à vif, mais ce n’est pas étonnant, car c’est la première fois qu’elles volent à ciel ouvert. Ici le noir et le blanc ne désignent rien d’autre qu’une différence d’expérience acquise, l’un est mieux préparé à l’événement que l’autre, et c’est ce qui décide de l’espérance de vie de ces oiseaux, vieux sujet biblique, tout simplement. Il faut toujours savoir s’imaginer le pire pour être au niveau, sinon ça ne veut rien dire.

 

 

 

 

 

 

 

Le commentaire de sitaudis.fr

suivi d'une postface de Louis-Jean Teitelbaum
et d'un «  contrepoint » de Marie-France et Patricia Martin
éditions Les petits matins, 2015
208 p.
12 €

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