L'éphémère capture de Jean-Louis Rambour et Pierre Tréfois par François Huglo

Les Parutions

21 juin
2016

L'éphémère capture de Jean-Louis Rambour et Pierre Tréfois par François Huglo

  • Partager sur Facebook

 

 

Coup d’œil à gauche, coup d’œil à droite, comme avant de traverser une route ou comme pour suivre un match de tennis, le lecteur fait rebondir l’un sur l’autre le poème et le dessin. Ou rejaillir l’un de l’autre ? On éprouve la même hésitation qu’à l’écoute de certaines chansons (les meilleures) : les paroles sont-elles nées de la musique ou l’inverse ? Le titre de la préface de Bernard Noël parle justement de « l’air de la page » : celui qu’elle respire, celui qu’elle chante, celui qui, « tout à coup sensible change le regard allant du poème à la flambée colorée qui l’accompagne ». Ou qu’il accompagne. D’où « une intensification réciproque qu’il est très rare d’observer ». Une complicité de jam-session unit depuis longtemps le poète qui dessine, Pierre Tréfois, à celui qui ne dessine pas, Jean-Louis Rambour. Elle nous amène, comme l’écrit Bernard Noël, « brusquement devant l’énigme de la naissance des signes et du langage pour avoir éprouvé, entre l’œuvre plastique et le poème, un soulèvement qui envahit nos yeux ».

 

Il y a, de part et d’autre, « dépôt de gestes » permettant de saisir « dans chaque mot la fusion du sonore et du sensé » : côté Tréfois une main, un « engagement corporel » dans « les traits et les couleurs », côté Rambour « la régularité du nombre de syllabes contestée et donc excitée par des chocs entre elles, des répétitions, des sauts, des raccourcis ». La lecture est donc ici « une expérience physique autant que mentale ».

 

Si Rambour ne dessine pas, ne peint pas, ses poèmes le font pour lui. Un dessin lie « le tracé papier des mouvements du cœur » à « l’hydrographie des veines » sur les mains, avec en surimpression « des deltas des i grecs égyptiens » et les « tunnels de métro Barbès / Porte d’Italie porte d’Eros et de haine ». Chaud, le rouge noue « le cercle sanguin de l’origine du monde » à « l’exsudation saignante des tables glacées / d’un bloc opératoire », au « carrelage où fut commis l’assassinat » et à Naples où « le Vésuve expulse ses matières ». Ainsi vivons-nous « liés aux organes du vide ». Froid, « le crayon bleu surtout le crayon bleu permet / la parodie la satire la rébellion ». Tension entre « point noir » de la page « jetée », « trou noir » de l’encre d’où naissent les lettres, et —fond de page— « le blanc opaque de nos yeux ».

 

Face aux traits colorés de Tréfois qui font vibrer, respirer la page, les traits réguliers des quatorze vers de Rambour refusent le découpage du sonnet, lui préfèrent la strophe où font bloc les associations au fil d’une syntaxe en fondu-enchaîné :

 

« Hommes femmes parlant leurs langages de gestes
Meuvent leur corps autour des trous meuvent leur corps
Milliard de trous n’est-ce pas comme autant de vifs
Pour les restes morts de ceux qui en ont fini
Meuvent leurs bras ce sont sémaphores côtiers
Leurs bras pour vérifier la présence de l’air
Qu’ingère leur gorge qu’ingèrent les ventres
L’air et ses idées ses vagues philosophies
L’air ses religions ses dieux à barbe à couronne
Tandis qu’aux déchets mis en terre comme insectes
Écrasés du pied il ne vient plus le réflexe
De conjuguer le verbe agiter l’éventail
Sous les fortes chaleurs appeler de leur nom
Ceux qui jadis parlaient au-dessus de leur sexe ».

 

Dans la même collection se rencontrent, sous le titre « Rouge résiduel », des dessins de Pierre Tréfois, des poèmes d’André Doms, et une postface de Jean-Louis Rambour.

 

 

 

 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis